Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/26

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Et plus récemment encore, à propos de cette chapelle des Saints-Anges, à Saint-Sulpice (Héliodore chassé du Temple et la Lutte de Jacob avec l’Ange), son dernier grand travail, si niaisement critiqué, je disais :

« Jamais, même dans la Clémence de Trajan, même dans l’Entrée des Croisés à Constantinople, Delacroix n’a étalé un coloris plus splendidement et plus savamment surnaturel ; jamais un dessin plus volontairement épique. Je sais bien que quelques personnes, des maçons sans doute, des architectes peut-être, ont, à propos de cette dernière œuvre, prononcé le mot décadence. C’est ici le lieu de rappeler que les grands maîtres, poëtes ou peintres Hugo ou Delacroix, sont toujours en avance de plusieurs années sur leurs timides admirateurs.

« Le public est, relativement au génie, une horloge qui retarde. Qui, parmi les gens clairvoyants, ne comprend que le premier tableau du maître contenait tous les autres en germe ? Mais qu’il perfectionne sans cesse ses dons naturels, qu’il les aiguise avec soin, qu’il en tire des effets nouveaux, qu’il pousse lui-même sa nature à outrance, cela est inévitable, fatal et louable. Ce qui est justement la marque principale du génie de Delacroix, c’est qu’il ne connaît pas la décadence ; il ne montre que le progrès. Seulement ses qualités primitives étaient si véhémentes et si riches, et elles ont si vigoureusement frappé les esprits, même les plus vulgaires, que le progrès journalier est pour eux insensible ; les raisonneurs seuls le perçoivent clairement.

« Je parlais tout à l’heure des propos de quelques