Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/267

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bassadeur étranger. Quelle admirable occasion ! Toute une salle française s’est amusée pendant plusieurs heures de la douleur de cette femme, et, chose moins connue, Mme Wagner elle-même a été insultée pendant une des représentations. Prodigieux triomphe !

Une mise en scène plus qu’insuffisante, faite par un ancien vaudevilliste (vous figurez-vous les Burgraves mis en scène par M. Clairville ?) ; une exécution molle et incorrecte de la part de l’orchestre ; un ténor allemand, sur qui on fondait les principales espérances, et qui se met à chanter faux avec une assiduité déplorable ; une Vénus endormie, habillée d’un paquet de chiffons blancs, et qui n’avait pas plus l’air de descendre de l’Olympe que d’être née de l’imagination chatoyante d’un artiste du moyen âge ; toutes les places livrées, pour deux représentations, à une foule de personnes hostiles ou, du moins, indifférentes à toute aspiration idéale, toutes ces choses doivent être également prises en considération. Seuls (et l’occasion naturelle s’offre ici de les remercier), Mlle Sax et Morelli ont fait tête à l’orage. Il ne serait pas convenable de ne louer que leur talent ; il faut aussi vanter leur bravoure. Ils ont résisté à la déroute ; ils sont restés, sans broncher un instant, fidèles au compositeur. Morelli, avec l’admirable souplesse italienne, s’est conformé humblement au style et au goût de l’auteur, et les personnes qui ont eu souvent le loisir de l’étudier disent que cette docilité lui a profité, et qu’il n’a jamais paru dans un aussi beau jour que sous le person-