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quent des haines comme des admirations, à l’étourdie. Cela est fort imprudent : c’est se faire un ennemi — sans bénéfice et sans profit. Un coup qui ne porte pas n’en blesse pas moins au cœur le rival à qui il était destiné, sans compter qu’il peut à gauche ou à droite blesser l’un des témoins du combat.

Un jour, pendant une leçon d’escrime, un créancier vint me troubler ; je le poursuivis dans l’escalier à coups de fleuret. Quand je revins, le maître d’armes, un géant pacifique qui m’aurait jeté par terre en soufflant sur moi, me dit : « Comme vous prodiguez votre antipathie ! un poëte ! un philosophe ! ah fi ! » — J’avais perdu le temps de faire deux assauts, j’étais essoufflé, honteux, et méprisé par un homme de plus, — le créancier, à qui je n’avais pas fait grand mal.

En effet, la haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, — car il est fait avec notre sang, notre santé, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare !


IV

DE L’ÉREINTAGE

L’éreintage ne doit être pratiqué que contre les suppôts de l’erreur. Si vous êtes fort, c’est vous perdre