Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/30

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M. Ricourt, soit dans la Revue des Deux Mondes, ne font que confirmer ce caractère double des grands artistes, qui les pousse, comme critiques, à louer et à analyser plus voluptueusement les qualités dont ils ont le plus besoin, en tant que créateurs, et qui font antithèse à celles qu’ils possèdent surabondamment. Si Eugène Delacroix avait loué, préconisé ce que nous admirons surtout en lui, la violence, la soudaineté dans le geste, la turbulence de la composition, la magie de la couleur, en vérité, c’eût été le cas de s’étonner. Pourquoi chercher ce qu’on possède en quantité presque superflue, et comment ne pas vanter ce qui nous semble plus rare et plus difficile à acquérir ? Nous verrons toujours, monsieur, le même phénomène se produire chez les créateurs de génie, peintres ou littérateurs, toutes les fois qu’ils appliqueront leurs facultés à la critique. À l’époque de la grande lutte des deux écoles, la classique et la romantique, les esprits simples s’ébahissaient d’entendre Eugène Delacroix vanter sans cesse Racine, La Fontaine et Boileau. Je connais un poëte, d’une nature toujours orageuse et vibrante, qu’un vers de Malherbe, symétrique et carré de mélodie, jette dans de longues extases.

D’ailleurs, si sages, si sensés et si nets de tour et d’intention que nous apparaissent les fragments littéraires du grand peintre, il serait absurde de croire qu’ils furent écrits facilement et avec la certitude d’allure de son pinceau. Autant il était sûr d’écrire ce qu’il pensait sur une toile, autant il était préoccupé de ne