Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/331

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la vie elle-même. La transparence de l’atmosphère, la coupole du ciel, la figure de l’arbre, le regard de l’animal, la silhouette de la maison sont peints en ses livres par le pinceau du paysagiste consommé. En tout il met la palpitation de la vie. S’il peint la mer aucune marine n’égalera les siennes. Les navires qui en rayent la surface ou qui en traversent les bouillonnements auront, plus que tous ceux de tout autre peintre, cette physionomie de lutteurs passionnés, ce caractère de volonté et d’animalité qui se dégage si mystérieusement d’un appareil géométrique et mécanique de bois, de fer, de cordes et de toile ; animal monstrueux créé par l’homme, auquel le vent et le flot ajoutent la beauté d’une démarche.

Quant à l’amour, à la guerre, aux joies de la famille, aux tristesses du pauvre, aux magnificences nationales, à tout ce qui est plus particulièrement l’homme, et qui forme le domaine du peintre de genre et du peintre d’histoire, qu’avons-nous vu de plus riche et de plus concret que les poésies lyriques de Victor Hugo ? Ce serait sans doute ici le cas, si l’espace le permettait, d’analyser l’atmosphère morale qui plane et circule dans ses poèmes, laquelle participe très-sensiblement du tempérament propre de l’auteur. Elle me paraît porter un caractère très-manifeste d’amour égal pour ce qui est très-fort comme pour ce qui est très-faible, et l’attraction exercée sur le poëte par ces deux extrêmes tire sa raison d’une origine unique, qui est la force même, la vigueur originelle dont il est