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des militaires, à des aventuriers, ou même à de simples courtisans, d’écrire quelquefois à la diable, de forts beaux livres que nous autres, gens du métier, nous sommes contraints d’admirer.




V


Eugène Delacroix était un curieux mélange de scepticisme, de politesse, de dandysme, de volonté ardente, de ruse, de despotisme, et enfin d’une espèce de bonté particulière et de tendresse modérée qui accompagne toujours le génie. Son père appartenait à cette race d’hommes forts dont nous avons connu les derniers dans notre enfance ; les uns fervents apôtres de Jean-Jacques, les autres disciples déterminés de Voltaire, qui ont tous collaboré, avec une égale obstination, à la Révolution française, et dont les survivants, jacobins ou cordeliers, se sont ralliés avec une parfaite bonne foi (c’est important à noter) aux intentions de Bonaparte.

Eugène Delacroix a toujours gardé les traces de cette origine révolutionnaire. On peut dire de lui, comme de Stendhal, qu’il avait grande frayeur d’être dupe. Sceptique et aristocrate, il ne connaissait la passion et le surnaturel que par sa fréquentation forcée avec le rêve Haïsseur des multitudes, il ne les considérait guère que comme des briseuses d’images, et les vio-