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représente les belles heures de la vie, c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre."

Je lis dans un critique : « Pour deviner l’âme d’un poëte, ou du moins sa principale préoccupation, cherchons dans ses œuvres quel est le mot ou quels sont les mots qui s’y représentent avec le plus de fréquence. Le mot traduira l’obsession. »

Si, quand j’ai dit : « Le talent de Banville représente les belles heures de la vie », mes sensations ne m’ont pas trompé (ce qui, d’ailleurs, sera tout à l’heure vérifié), et si je trouve dans ses œuvres un mot qui, par sa fréquente répétition, semble dénoncer un penchant naturel et un dessein déterminé, j’aurai le droit de conclure que ce mot peut servir à caractériser, mieux que tout autre, la nature de son talent, en même temps que les sensations contenues dans les heures de la vie où l’on se sent le mieux vivre.

Ce mot, c’est le mot lyre, qui comporte évidemment pour l’auteur un sens prodigieusement compréhensif. La lyre exprime en effet cet état presque surnaturel, cette intensité de vie où l’âme chante, où elle est contrainte de chanter, comme l’arbre, l’oiseau et la mer. Par un raisonnement, qui a peut-être le tort de rappeler les méthodes mathématiques, j’arrive donc à conclure que, la poésie de Banville suggérant d’abord l’idée des belles heures, puis présentant assidûment aux yeux le mot lyre, et la lyre étant expressément chargée de traduire les belles heures, l’ardente vitalité spirituelle, l’homme hyperbolique, en un mot, le ta-