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écolier paresseux, vers les gouffres prodigieux de la misère sociale.


II


Le poëte, dans son exubérante jeunesse, peut prendre surtout plaisir à chanter les pompes de la vie ; car tout ce que la vie contient de splendide et de riche attire particulièrement le regard de la jeunesse. L’âge mûr, au contraire, se tourne avec inquiétude et curiosité vers les problèmes et les mystères. Il y a quelque chose de si absolument étrange dans cette tache noire que fait la pauvreté sur le soleil de la richesse, ou, si l’on veut, dans cette tache splendide de la richesse sur les immenses ténèbres de la misère, qu’il faudrait qu’un poëte, qu’un philosophe, qu’un littérateur fût bien parfaitement monstrueux pour ne pas s’en trouver parfois ému et intrigué jusqu’à l’angoisse. Certainement, ce littérateur-là n’existe pas ; il ne peut pas exister. Donc tout ce qui divise celui-ci d’avec celui-là, l’unique divergence, c’est de savoir si l’œuvre d’art doit n’avoir d’autre but que l’art, si l’art ne doit exprimer d’adoration que pour lui-même, ou si un but, plus noble ou moins noble, inférieur ou supérieur, peut lui être imposé.

C’est surtout, dis-je, dans leur pleine maturité, que les poëtes sentent leur cerveau s’éprendre de certains