Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/413

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fait un admirable manteau de respectabilité ; il est couvert et cuirassé de bonnes œuvres. Mais un jour sinistre arrive où il apprend qu’un faux Valjean, un sosie inepte, abject, va être condamné à sa place. Que faire ? Est-il bien certain que la loi intérieure, la Conscience, lui ordonne de démolir lui-même en se dénonçant, tout ce pénible et glorieux échafaudage de sa vie nouvelle ? « La lumière que tout homme en naissant apporte en ce monde » est-elle suffisante pour éclairer ces ténèbres complexes ? M. Madeleine sort vainqueur, mais après quelles épouvantables luttes ! de cette mer d’angoisses, et redevient Valjean par amour du Vrai et du Juste. Le chapitre où est retracé, minutieusement, lentement, analytiquement, avec ses hésitations, ses restrictions, ses paradoxes, ses fausses consolations, ses tricheries désespérées, cette dispute de l’homme contre lui-même (Tempête sous un crâne), contient des pages qui peuvent enorgueillir à jamais non seulement la littérature française, mais même la littérature de l’Humanité pensante. Il est glorieux pour l’Homme Rationnel que ces pages aient été écrites ! Il faudrait chercher beaucoup, et longtemps, et très-longtemps, pour trouver dans un autre livre des pages égales à celle-ci, où est exposée, d’une manière si tragique, toute l’épouvantable Casuistique inscrite, dès le Commencement, dans le cœur de l’Homme Universel.

Il y a dans cette galerie de douleurs et de drames funestes une figure horrible, répugnante, c’est le gendarme, le garde-chiourme, la justice stricte, inexorable,