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l’encre et du cirage, comme a dit autrefois Théophile Gautier.

Mais celui qu’il choisissait plus volontiers pour s’expatrier dans d’immenses causeries était l’homme qui lui ressemblait le moins par le talent comme par les idées, son véritable antipode, un homme à qui on n’a pas encore rendu toute la justice qui lui est due, et dont le cerveau, quoique embrumé comme le ciel charbonné de sa ville natale, contient une foule d’admirables choses. J’ai nommé M. Paul Chenavard.

Les théories abstruses du peintre philosophe lyonnais faisaient sourire Delacroix, et le pédagogue abstracteur considérait les voluptés de la pure peinture comme choses frivoles, sinon coupables. Mais si éloignés qu’ils fussent l’un de l’autre, et à cause même de cet éloignement, ils aimaient à se rapprocher, et comme deux navires attachés par les grappins d’abordage, ils ne pouvaient plus se quitter. Tous deux, d’ailleurs, étaient fort lettrés et doués d’un remarquable esprit de sociabilité, ils se rencontraient sur le terrain commun de l’érudition. On sait qu’en général ce n’est pas la qualité par laquelle brillent les artistes.

Chenavard était donc pour Delacroix une rare ressource. C’était vraiment plaisir de les voir s’agiter dans une lutte innocente, la parole de l’un marchant pesamment comme un éléphant en grand appareil de guerre, la parole de l’autre vibrant comme un fleuret, également aiguë et flexible. Dans les dernières heures de sa vie, notre grand peintre témoigna le désir de