Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/86

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choses : l’une, une contention de mémoire résurrectioniste, évocatrice, une mémoire qui dit à chaque chose : « Lazare, lève-toi ! » l’autre, un feu, une ivresse de crayon, de pinceau, ressemblant presque à une fureur. C’est la peur de n’aller pas assez vite, de laisser échapper le fantôme avant que la synthèse n’en soit extraite et saisie ; c’est cette terrible peur qui possède tous les grands artistes et qui leur fait désirer si ardemment de s’approprier tous les moyens d’expression, pour que jamais les ordres de l’esprit ne soient altérés par les hésitations de la main ; pour que finalement l’exécution, l’exécution idéale, devienne aussi inconsciente, aussi coulante que l’est la digestion pour le cerveau de l’homme bien portant qui a dîné. M. G. commence par de légères indications au crayon, qui ne marquent guère que la place que les objets doivent tenir dans l’espace. Les plans principaux sont indiqués ensuite par des teintes au lavis, des masses vaguement, légèrement colorées d’abord, mais reprises plus tard et chargées successivement de couleurs plus intenses. Au dernier moment, le contour des objets est définitivement cerné par de l’encre. À moins de les avoir vus, on ne se douterait pas des effets surprenants qu’il peut obtenir par cette méthode si simple et presque élémentaire. Elle a cet incomparable avantage, qu’à n’importe quel point de son progrès, chaque dessin a l’air suffisamment fini ; vous nommerez cela une ébauche si vous voulez, mais ébauche parfaite. Toutes les valeurs y sont en pleine harmonie, et s’il les veut pousser plus