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ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

delaire, d’origine champenoise, était alors, pour le physique, un sexagénaire aux cheveux gris frisés, mais aux sourcils noirs comme de l’ébène, — seul détail signalétique qui nous soit parvenu — et, pour le reste, un esprit très brillant chez lequel on trouvait aussi « la naïveté et la bonhomie de La Fontaine ». Il avait encore, nous assure-t-on, des manières tout aristocratiques, « ayant vécu dans l’intimité des Choiseul, des Condorcet, des Cabanis et des Mme HeIvétius ». Enfin, en plusieurs circonstances, il avait fait preuve du plus noble caractère. C’est ainsi que, précepteur des enfants du duc de Choiseul-Praslin quand se déchaîna la tourmente révolutionnaire, mais lié d’amitié ou d’ancienne camaraderie avec les puissants du jour dont il partageait les idées avancées, il avait su, dans cette période difficile, concilier ses sympathies politiques avec les devoirs de l’humanité, et réussi, au péril de ses jours, à soustraire des têtes au bourreau. Ainsi encore que, devenu plus tard chef des bureaux de la préture au Sénat impérial, il avait préféré démissionner, au retour des Bourbons, plutôt que de prêter la main au gaspillage des deniers publics.

Joseph-François Baudelaire avait été déjà une fois marié, et sa première femme lui avait laissé une gentille fortune, avec un grand fils dont l’éducation presque achevée ne réclamait plus ses soins. Retraité, il se prit d’intérêt pour une jeune fille rencontrée souvent chez un sien ami qui l’élevait avec ses propres enfants. La jeune fille, sans avoir des traits réguliers, ne manquait pas d’agrément ; elle joignait un caractère enjoué à une éducation achevée ; elle s’avouait enfin très portée au sentiment et fort désireuse de sortir de la situation délicate que lui valait, dans une maison d’un luxe princier, sa condition d’orpheline sans aucune fortune. S’étant essayé en vain à la pourvoir, François Baudelaire à qui ses manières exquises, son esprit,