Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/410

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— Si je vous disais qu’il était bien temps, quelqu’un me répondrait peut-être comme dans la pièce : « non, il n’était plus temps… ». Donc :

Au lieu de retourner dans sa chambre, elle entra cHez Rosette ; — ce qu’elle y dit, ce qu’elle y fit, je n’ai jamais pu le savoir : seulement une femme de chambre de Rosette m’apprit cette circonstance singulière : bien que sa maîtresse n’eût pas couché cette nuit-là avec son amant, le lit était rompu et défait, et portait l’empreinte de deux corps. — De plus elle me montra des perles exactement semblables à celles de la Rosalinde. Elle les avait trouvées dans le lit en le faisant : je laisse cette remarque à la sagacité du lecteur…

Quoi ! et après tout ce que je viens de vous lire, vous condamneriez Baudelaire ? Vous le condamneriez après tant d’autres citations que je pourrais faire et dont vous trouverez dans mon dossier une collection bien incomplète encore, mais fidèlement transcrite ? vous y trouverez du Rabelais, du Brantôme qui « a cogneu tant d’bonnestes dames… » ; mais j’aurais pu puiser partout ! La Fontaine et ses contes, Molière, Voltaire et ses contes en prose, et Rousseau dont les confessions renferment des passages immondes, et Beaumarchais, « auquel de toutes les choses sérieuses le mariage a toujours paru la plus bouffonne ». Mais si j’osais, si la prosopopée pouvait ici trouver sa place, j’évoquerais et j’invoquerais Montesquieu : « Oh ! Montesquieu, que dirait ta grande âme, si pour ton malheur rappelé à la vie, tu voyais poursuivre pour outrage à la morale publique Baudelaire et les Fleurs Du Mal, toi qui as écrit le Temple de Gnide et les Lettres persanes… ? » Que dirait Lamartine qui a fait La Chute d’un Ange, et Balzac avec sa Fille aux yeux d’or, et George Sand avec Lélia… ?

Je m’arrête, messieurs, et je ne veux pas abuser plus longtemps de vos moments.

Je vous ai dit ce qu’était Baudelaire, et quelles avaient été ses intentions ; je vous ai montré sa méthode, et son procédé littéraire, je viens de vous faire voir longuement qu’il n’y a rien dans son œuvre qui soit aussi osé dans le fond et dans la forme, dans l’expression et dans la pensée, que tout ce que notre littérature imprime et réimprime tous les jours ; j’ai confiance que vous ne voudrez pas frapper ce galant homme et ce grand artiste et que vous le renverrez purement et simplement des fins de la poursuite.