Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal 1857.djvu/160

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Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d’énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poètes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs :

— Voilà le noir tableau qu’en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon œil clairvoyant ;
Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vielles putains la funèbre gaîté,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L’un de son vieil honneur, l’autre de sa beauté !

Et mon cœur s’effraya d’envier le pauvre homme
Qui court avec ferveur à l’abîme béant,
Et, soûlé de son sang, préférerait en somme
La douleur à la mort et l’enfer au néant !