Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/147

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sensible dirait à une comédienne qu’il aimerait : « Je veux vous voir vêtue du costume que vous portiez dans ce fameux rôle que vous avez créé. »

Moi, m’obstinant, je repris : « Peux-tu te souvenir de l’époque et de l’occasion où est née en toi cette passion si particulière ? »

Difficilement je me fis comprendre ; enfin j’y parvins. Mais alors elle me répondit d’un air très-triste, et même, autant que je peux me souvenir, en détournant les yeux : « Je ne sais pas… je ne me souviens pas. »

Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder ? La vie fourmille de monstres innocents. — Seigneur, mon Dieu ! vous, le Créateur, vous, le Maître ; vous qui avez fait la Loi et la Liberté ; vous, le souverain qui laissez faire, vous, le juge qui pardonnez ; vous qui êtes plein de motifs et de causes, et qui avez peut-être mis dans mon esprit le goût de l’horreur pour convertir mon cœur, comme la guérison au bout d’une lame ; Seigneur ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! Ô Créateur ! peut-il exister des monstres aux yeux de Celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits et comment ils auraient pu ne pas se faire ?