Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/203

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unique, j’attribuais aux oiseaux ce chant mystérieux du cuivre, et je croyais qu’ils chantaient avec un gosier de métal. Évidemment ils causaient de moi et ils célébraient ma captivité. Des singes gambadants, des satyres bouffons semblaient s’amuser de cette prisonnière étendue, condamnée à l’immobilité. Mais toutes les divinités mythologiques me regardaient avec un charmant sourire, comme pour m’encourager à supporter patiemment le sortilège, et toutes les prunelles glissaient dans le coin des paupières comme pour s’attacher à mon regard. J’en conclus que si des fautes anciennes, si quelques péchés inconnus à moi-même, avaient nécessité ce châtiment temporaire, je pouvais compter cependant sur une bonté supérieure, qui, tout en me condamnant à la prudence, m’offrirait des plaisirs plus graves que les plaisirs de poupée qui remplissent notre jeunesse. Vous voyez que les considérations morales n’étaient pas absentes de mon rêve ; mais je dois avouer que le plaisir de contempler ces formes et ces couleurs brillantes, et de me croire le centre d’un drame fantastique, absorbait fréquemment toutes mes autres pensées. Cet état dura longtemps, fort longtemps… Dura-t-il jusqu’au matin ? je l’ignore. Je vis tout d’un coup le soleil matinal installé dans ma chambre ; j’éprouvai un vif étonnement, et malgré tous les efforts de mémoire que j’ai pu faire, il m’a été impossible de savoir si j’avais dormi ou si j’avais subi patiemment une insomnie délicieuse. Tout à l’heure, c’était la nuit, et maintenant le jour ! Et ce-