Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/237

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moraux et arrachant cette pudique draperie dont le temps ou l’indulgence pour la fragilité humaine avait consenti à les revêtir. »

En effet, ajoute-t-il, généralement le crime et la misère reculent loin du regard public, et même dans le cimetière, ils s’écartent de la population commune, comme s’ils abdiquaient humblement tout droit à la camaraderie avec la grande famille humaine. Mais, dans le cas du Mangeur d’opium, il n’y a pas crime, il n’y a que faiblesse, et encore faiblesse si facile à excuser ! ainsi qu’il le prouvera dans une biographie préliminaire ; ensuite le bénéfice résultant pour autrui des notes d’une expérience achetée à un prix si lourd peut compenser largement la violence faite à la pudeur morale et créer une exception légitime.

Dans cette adresse au lecteur nous trouvons quelques renseignements sur le peuple mystérieux des mangeurs d’opium, cette nation contemplative perdue au sein de la nation active. Ils sont nombreux, et plus qu’on ne le croit. Ce sont des professeurs, ce sont des philosophes, un lord placé dans la plus haute situation, un sous-secrétaire d’État ; si des cas aussi nombreux, pris dans la haute classe de la société, sont venus, sans avoir été cherchés, à la connaissance d’un seul individu, quelle statistique effroyable ne pourrait-on pas établir sur la population totale de l’Angleterre ! Trois pharmaciens de Londres, dans des quartiers pourtant reculés, affirment (en 1821) que le nombre des amateurs d’opium est immense, et que la difficulté de