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Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/265

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beaucoup moins intime. C’était la première bonne table à laquelle il lui fut permis de s’asseoir depuis bien des mois, et cependant il ne put toucher à rien. À Londres déjà, le jour même où il avait reçu sa bank-note, il avait acheté deux petits pains dans la boutique d’un boulanger, et cette boutique, il la dévorait des yeux depuis deux mois ou six semaines avec une intensité de désir dont le souvenir lui était presque une humiliation. Mais le pain tant désiré l’avait rendu malade, et pendant plusieurs semaines encore il lui fut impossible de toucher sans danger à un mets quelconque. Au milieu même du luxe et du comfort, l’appétit avait disparu. Quand il eut expliqué à lord D… la situation lamentable de son estomac, celui-ci fit demander du vin, ce qui fut une grande joie. — Quant à l’objet réel du voyage, le service qu’il se proposait de demander au comte de…, et qu’il demande à son défaut à lord D…, il ne peut l’obtenir absolument, c’est-à-dire que celui-ci, ne voulant pas le mortifier par un complet refus, consent à donner sa garantie, mais dans de certains termes et à de certaines conditions. Réconforté par cette moitié de succès, il rentre dans Londres, après trois jours d’absence, et retourne chez ses amis les juifs. Malheureusement, les prêteurs d’argent refusent d’accepter les conditions de lord D…, et son épouvantable existence aurait pu recommencer, avec plus de danger cette fois, si au début de cette nouvelle crise, par un hasard qu’il ne nous explique pas, une ouverture ne lui avait été faite de la part de ses