Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/361

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moindre défaut est de servir de prétexte à une dégoisade de maximes niaisement pédantesques tirées du fameux chef-d’œuvre.

Si une nouvelle édition de ce faux chef-d’œuvre ose affronter le bon sens de l’humanité moderne, buveurs mélancoliques, buveurs joyeux, vous tous qui cherchez dans le vin le souvenir ou l’oubli, et qui, ne le trouvant jamais assez complet à votre gré, ne contemplez plus le ciel que par le cul de la bouteille[1], buveurs oubliés et méconnus, achèterez-vous un exemplaire et rendrez-vous le bien pour le mal, le bienfait pour l’indifférence ?

J’ouvre le Kreisleriana du divin Hoffmann, et j’y lis une curieuse recommandation. Le musicien consciencieux doit se servir du vin de Champagne pour composer un opéra-comique. Il y trouvera la gaieté mousseuse et légère que réclame le genre. La musique religieuse demande du vin du Rhin ou du Jurançon. Comme au fond des idées profondes, il y a là une amertume enivrante ; mais la musique héroïque ne peut pas se passer de vin de Bourgogne. Il a la fougue sérieuse et l’entraînement du patriotisme. Voilà certainement qui est mieux, et outre le sentiment passionné d’un buveur, j’y trouve une impartialité qui fait le plus grand honneur à un Allemand.

Hoffmann avait dressé un singulier baromètre psychologique destiné à lui représenter les différentes

  1. Béroalde de Verville. Moyen de parvenir.