Aller au contenu

Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Malabar témoignent du même système. Ces grands peuples voluptueux et savants connaissaient parfaitement la question. Les sentiments intimes ne se recueillent à loisir que dans un espace très-étroit.

La chambre à coucher de la Fanfarlo était donc très-petite, très-basse, encombrée de choses molles, parfumées et dangereuses à toucher ; l’air, chargé de miasmes bizarres, donnait envie d’y mourir lentement comme dans une serre chaude. La clarté de la lampe se jouait dans un fouillis de dentelles et d’étoffes d’un ton violent, mais équivoque. Çà et là, sur le mur, elle éclairait quelques peintures pleines d’une volupté espagnole : des chairs très-blanches sur des fonds très-noirs. C’est au fond de ce ravissant taudis, qui tenait à la fois du mauvais lieu et du sanctuaire, que Samuel vit s’avancer vers lui la nouvelle déesse de son cœur, dans la splendeur radieuse et sacrée de sa nudité.

Quel est l’homme qui ne voudrait, même au prix de la moitié de ses jours, voir son rêve, son vrai rêve poser sans voile devant lui, et le fantôme adoré de son imagination faire tomber un à un tous les vêtements destinés à protéger contre les yeux du vulgaire ? Mais voilà que Samuel, pris d’un caprice bizarre, se mit à crier comme un enfant gâté : — Je veux Colombine, rends-moi Colombine ; rends-la-moi telle qu’elle m’est apparue le soir qu’elle m’a rendu fou avec son accoutrement fantasque et son corsage de saltimbanque !

La Fanfarlo, étonnée d’abord, voulut bien se prêter à l’excentricité de l’homme qu’elle avait choisi, et l’on