Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/434

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux éléments : la ligne et l’attrait, — et que tout ceci ne regarde que la ligne, — l’attrait pour lui, ce soir-là du moins, c’était le rouge.

La Fanfarlo résumait donc pour lui la ligne et l’attrait ; et quand, assise au bord du lit, dans l’insouciance et dans le calme victorieux de la femme aimée, les mains délicatement posées sur lui, il la regardait, il lui semblait voir l’infini derrière les yeux clairs de cette beauté, et que les siens à la longue planaient dans d’immenses horizons. Du reste, comme il arrive aux hommes exceptionnels, il était souvent seul dans son paradis, nul ne pouvant l’habiter avec lui ; et si, de hasard, il l’y ravissait et l’y traînait presque de force, elle restait toujours en arrière : aussi, dans le ciel où il régnait, son amour commençait d’être triste et malade de la mélancolie du bleu, comme un royal solitaire.

Cependant, il ne s’ennuya jamais d’elle ; jamais, en quittant son réduit amoureux, piétinant lestement sur un trottoir, à l’air frais du matin, il n’éprouva cette jouissance égoïste du cigare et des mains dans les poches, dont parle quelque part notre grand romancier moderne[1].

À défaut du cœur, Samuel avait l’intelligence noble, et, au lieu d’ingratitude, la jouissance avait engendré chez lui ce contentement savoureux, cette rêverie sensuelle, qui vaut peut-être mieux que l’amour comme l’entend le vulgaire. Du reste, la Fanfarlo avait fait de

  1. L’auteur de la Fille aux yeux d’or.