Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/387

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profond étonnement. Le temps avait complétement disparu. Tout à l’heure c’était la nuit, maintenant c’est le jour. « Ai-je dormi, ou n’ai-je pas dormi ? Mon ivresse a-t-elle duré toute la nuit, et la notion du temps étant supprimée, la nuit entière n’a-t-elle eu pour moi à peine que la valeur d’une seconde ? Ou bien ai-je été enseveli dans les voiles d’un sommeil plein de visions ? » Il est impossible de le savoir.

Il vous semble que vous éprouvez un bien-être et une légèreté d’esprit merveilleuse ; nulle fatigue. Mais à peine êtes-vous debout qu’un vieux reste d’ivresse se manifeste. Vos jambes faibles vous conduisent avec timidité, vous craignez de vous casser comme un objet fragile. Une grande langueur, qui ne manque pas de charme, s’empare de votre esprit. Vous êtes incapable de travail et d’énergie dans l’action.

C’est la punition méritée de la prodigalité impie avec laquelle vous avez fait une si grande dépense de fluide nerveux. Vous avez jeté votre personnalité aux quatre vents du ciel, et maintenant vous avez de la peine à la rassembler et à la concentrer.




V


Je ne dis pas que le haschisch produise sur tous les hommes tous les effets que je viens de décrire. J’ai raconté à peu de chose près les phénomènes qui se produisent