Page:Baudelaire - Salon de 1845, 1845.djvu/12

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mente bien ce qu’il sent juste — à savoir, qu’il y a deux genres de dessins, le dessin des coloristes et le dessin des dessinateurs. — Les procédés sont inverses ; mais on peut bien dessiner avec une couleur effrénée, comme on peut trouver des masses de couleur harmonieuses, tout en restant dessinateur exclusif.

Donc, quand nous disons que ce tableau est bien dessiné, nous ne voulons pas faire entendre qu’il est dessiné comme un Raphaël ; nous voulons dire qu’il est dessiné d’une manière impromptue et spirituelle ; que ce genre de dessin, qui a quelque analogie avec celui de tous les grands coloristes, de Rubens, par exemple, rend bien, rend parfaitement le mouvement, la physionomie, le caractère insaisissable et tremblant de la nature, que le dessin de Raphaël ne rend jamais. — Nous ne connaissons à Paris, que deux hommes qui dessinent aussi bien que M. Delacroix, l’un d’une manière analogue, l’autre dans une méthode contraire. — L’un est M. Daumier, le caricaturiste ; l’autre, M. Ingres, le grand peintre, l’adorateur rusé de Raphaël. — Voilà certes qui doit stupéfier les amis et les ennemis, les séides et les antagonistes ; mais avec une attention lente et studieuse, chacun verra que ces trois dessins différents ont ceci de commun, qu’ils rendent parfaitement et complétement le côté de la nature qu’ils veulent rendre, et qu’ils disent juste ce qu’ils veulent dire. — Daumier dessine peut-être mieux que Delacroix, si l’on veut préférer les qualités saines, bien portantes, aux facultés étranges et étonnantes d’un grand génie ma-