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doute fait disparaître. Il était fils de M. Baudelaire, ancien ami de Condorcet et de Cabanis, homme très-distingué, fort instruit et gardant cette politesse du xviiie siècle, que les mœurs prétentieusement farouches de l’ère républicaine n’avaient pas effacée autant qu’on le pense. — Cette qualité a persisté dans le poëte, qui conserva toujours des formes d’une urbanité extrême. On ne voit pas qu’en ses premières années Baudelaire ait été un enfant prodige, et qu’il ait cueilli beaucoup de lauriers aux distributions de prix des colléges. Il eut même assez de peine à passer ses examens de bachelier ès lettres ; et fut reçu comme par grâce. Troublé sans doute par l’imprévu des questions, ce garçon, d’un esprit si fin et d’un savoir si réel, parut presque idiot. Nous n’avons nullement l’intention de faire de cette inaptitude apparente un brevet de capacité. On peut être prix d’honneur et avoir beaucoup de talent. Il ne faut voir dans ce fait que l’incertitude des présages qu’on voudrait tirer des épreuves académiques. Sous l’écolier souvent distrait et paresseux ou plutôt occupé d’autres choses, l’homme réel se forme peu à peu, invisible aux professeurs et aux parents. M. Baudelaire mourut, et sa femme, mère de Charles, se remaria avec le général Aupick, qui fut plus tard ambassadeur à Constantinople. Des dissentiments ne tardèrent pas à s’élever dans la famille à propos de la précoce vocation que manifestait pour la littérature le jeune Baudelaire. Ces craintes que ressentent les parents lorsque le don funeste de la poésie se déclare chez leur fils sont, hélas ! bien légitimes, et c’est à tort, selon nous, que, dans les biographies de poëtes, on reproche aux pères et aux mères leur inintelligence et leur prosaïsme. Ils ont bien raison. À quelle existence triste, précaire et misérable, et nous ne parlons pas ici des embarras d’argent, se voue celui qui s’engage dans cette voie doulou-