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brunes aux blanches draperies, toute cette nature exotique si chaude, si puissante et si colorée, et dans ses vers de fréquentes récurrences le ramènent des brouillards et des fanges de Paris vers ces contrées de lumière, d’azur et de parfums. Au fond de la poésie la plus sombre souvent s’ouvre une fenêtre par où l’on voit, au lieu des cheminées noires et des toits fumeux, la mer bleue de l’Inde, ou quelque rivage d’or que parcourt légèrement une svelte figure de Malabaraise demi-nue, portant une amphore sur la tête. Sans vouloir pénétrer plus qu’il ne convient dans la vie privée du poëte, on peut supposer que ce fut pendant ce voyage qu’il prit cet amour de la Vénus noire, pour laquelle il eut toujours un culte.

Quand il revint de ces pérégrinations lointaines, l’heure de sa majorité avait sonné ; il n’y avait plus de raison, — pas même de raison d’argent, car il était riche pour quelque temps du moins,— de s’opposer à la vocation de Baudelaire ; elle s’était affirmée par sa résistance aux obstacles, et rien n’avait pu la distraire de son but. Logé dans un petit appartement de garçon, sous le toit de ce même hôtel Pimodan où nous le rencontrâmes plus tard, comme nous l’avons raconté aux premières pages de cette notice, il commença cette vie de travail interrompu et repris sans cesse, d’études disparates et de paresse féconde, qui est celle de tout homme de lettres cherchant sa voie. Baudelaire l’eut bientôt trouvée. Il avisa, non pas en deçà, mais au delà du romantisme, une terre inexplorée, une sorte de Kamtchatka hérissé et farouche, et c’est à la pointe la plus extrême qu’il se bâtit, comme dit Sainte-Beuve qui l’appréciait, un kiosque, ou plutôt une yourte d’une architecture bizarre.

Plusieurs des pièces qui figurent dans les Fleurs du mal étaient déjà composées. Baudelaire, comme tous les