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xviiie siècle, qui convient si bien à la muse décrépite de l’abbé Delille et de ses imitateurs, n’est plus de mise dans un poëme court destiné à frapper l’esprit des lecteurs par une succession rapide d’images intenses.

Je félicite M. Baudelaire d’avoir compris ces conditions nouvelles de la poésie, car c’est assurément une preuve de force que de se trouver du premier coup à la hauteur de son temps.

III

La poésie de M. Baudelaire, profondément imagée, vivace et vivante, possède à un haut degré ces qualités d’intensité et de spontanéité que je demande au poëte moderne.

Il a les dons rares, et qui sont des grâces, de l’évocation et de la pénétration. Sa poésie, concise et brillante, s’impose à l’esprit comme une image forte et logique. Soit qu’il évoque le souvenir, soit qu’il fleurisse le rêve, soit qu’il tire des misères et des vices du temps un idéal terrible, impitoyable, toujours la magie est complète, toujours l’image abondante et riche se poursuit rigoureusement dans ses termes.

On dira que parfois le ton est poussé au noir, ou au rouge, et que le poëte semble se complaire à irriter les plaies où il a glissé la sonde. Mais, à notre tour, prenons garde à ne pas tomber dans l’exagération. Je sais bien que les satires de d’Aubigné, non plus que celles de Régnier, non plus que certaines pièces de Saint-Amant ou même de Ronsard, ne pourraient guère paraître dans nos revues ac-