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Toute oreille sensible comprend le charme de cette liquide ramenée quatre fois et qui semble vous entraîner sur son flot dans l’infini du rêve comme une plume de mouette sur la houle bleue de la mer napolitaine. On trouve de fréquentes allitérations dans la prose de Beaumarchais, et les Scaldes en faisaient grand usage. Ces minuties paraîtront sans doute bien frivoles aux hommes utilitaires, progressifs et pratiques ou simplement spirituels qui pensent, comme Stendhal, que le vers est une forme enfantine, bonne pour les âges primitifs, et demandent que la poésie soit écrite en prose comme il sied à une époque raisonnable. Mais ce sont ces détails qui rendent les vers bons ou mauvais et font qu’on est ou qu’on n’est pas poëte.

Les mots polysyllabiques et amples plaisent à Baudelaire, et, avec trois ou quatre de ces mots, il fait souvent des vers qui semblent immenses et dont le son vibrant prolonge la mesure. Pour le poëte, les mots ont, en eux-mêmes et en dehors du sens qu’ils expriment, une beauté et une valeur propres comme des pierres précieuses qui ne sont pas encore taillées et montées en bracelets, en colliers ou en bagues : ils charment le connaisseur qui les regarde et les trie du doigt dans la petite coupe où ils sont mis en réserve, comme ferait un orfèvre méditant un bijou. Il y a des mots diamant, saphir, rubis, émeraude, d’autres qui luisent comme du phosphore quand on les frotte, et ce n’est pas un mince travail de les choisir.

Ces grands alexandrins dont nous parlions tout à l’heure, qui viennent, en temps d’accalmie, mourir sur la plage avec la tranquille et profonde ondulation de la houle arrivant du large, se brisent parfois en folle écume et lancent haut leurs fumées blanches contre quelque récif sourcilleux et farouche pour retomber ensuite en pluie amère. Les vers