Page:Baudry - Contes choisis des frères Grimm.djvu/59

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oiseaux, et l’épaisseur du feuillage arrêtait les rayons du soleil. Le cordonnier ne disait mot, courbé sous sa charge de pain, qui faisait couler la sueur sur son noir et sombre visage. Le tailleur, au contraire, était de la plus belle humeur ; il courait de tous côtés, sifflant, chantant quelques petites chansons, et il disait : « Dieu, dans son paradis, doit être heureux de me voir si gai. »

Les deux premiers jours se passèrent ainsi ; mais le troisième, comme ils ne voyaient pas le bout de leur route, le tailleur, qui avait consommé tout son pain, sentit sa gaieté s’évanouir ; cependant, sans perdre courage, il se remit à sa bonne chance et à la grâce de Dieu. Le soir, il se coucha sous un arbre avec la faim, et il se releva le lendemain sans qu’elle fût apaisée. Il en fut de même le quatrième jour, et pendant que le cordonnier dînait, assis sur un tronc d’arbre abattu, le pauvre tailleur n’avait d’autre ressource que de le regarder faire. Il lui demanda une bouchée de pain ; mais l’autre lui répondit en ricanant : « Toi qui étais toujours si gai, il est bon que tu connaisses un peu le malheur. Les oiseaux qui chantent trop matin, le soir l’épervier les croque. » Bref il fut sans pitié.

Le matin du cinquième jour, le pauvre tailleur n’avait plus la force de se lever. À peine si dans son épuisement, il pouvait prononcer une parole : il avait les joues pâles et les yeux rouges. Le cor-