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XVII

rencontre au bord de l’eau

Le chef Langelier reçut monsieur Bernard et Marcel avec cette amabilité un peu bourrue qui lui était coutumière. Il écouta leurs doléances, prit quelques notes, promit de faire exercer autour d’eux une surveillance active et, appelé par d’autres affaires plus importantes à ses yeux, les mit gentiment mais fermement à la porte.

En novembre, le soleil qui se ressent sans doute de la fatigue de ses longues journées d’été, éprouve le besoin de se coucher tôt. Et quoiqu’il ne fût pas encore cinq heures quand Marcel, l’air pensif, les poings serrés au fond de ses poches, s’assit au bord du fleuve pour rouler, loin des intrus, des pensées plutôt sombres, l’astre-roi avait plus qu’à moitié disparu à l’horizon. Comme tous ceux qui ont ou s’imaginent avoir à se plaindre de l’existence, Marcel rêvait à de lointains rivages. Cette eau qui coulait à ses pieds, qu’aucune force n’arrêterait, qui s’en allait toujours plus vite, semblait-il, entre les rives de plus en plus écartées du fleuve, lui faisait envie. Que ne pouvait-il, comme elle, avec cette même indifférence des paysages environnants, s’en aller loin, bien loin ? Où allait-elle cette eau sur laquelle, avant de disparaître pour la nuit, le soleil jetait des reflets fauves ? S’il avait pu lier son sort à celui de n’importe laquelle de ces vagues minuscules, où aurait-il finalement été échouer ? Sur quelle plage ensoleillée, sur quel rocher abrupt, sur quelle froide banquise, au bord de quel aride désert ou dans quel port grouillant de