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et se gettoyent au fond des batteaux cuydans estre perduz qui ne fut sans risée.

On passa le Vendredi avec une répétition du jeu des gladiateurs, comme le roi l’avait souhaité ; à vêpres on célébra la fête de l’Ordre de France d’après le cérémoniel fastueux institué par Louis XI. Le lendemain, un dîner officiel réunit les notables de Lyon autour du roi qui venait d’entendre la messe en grande solennité.

On avait préparé pour le Dimanche (dernier jour de cette semaine de fêtes splendides) un spectacle émouvant et merveilleux, comme on les aimait à cette époque guerrière. C’était de nouveau une espèce de naumachie, mais une naumachie nocturne à la lueur des torches et des feux d’artifice. Une galère, construite expressément pour cette fête de nuit, était armée de canons en bois chargés de fusées, et le corps du navire était rempli d’un million de feux d’artifice. On réussit bientôt à le mettre en feu, et les flammes qui montaient au ciel qu’il sembloit estre à plein midi et que les feux contendissoyent de clarté avec les estoilles du ciel, le réduisirent en cendres en quelques minutes, malgré la pluie qui vint déranger ce dernier effet d’opéra.

Telles furent les fêtes mémorables que Maurice Scève avait arrangées et décrites. En lisant sa relation, nous comprenons pourquoi le choix des consuls et échevins lyonnais s’était porté sur l’auteur de la Délie. Il leur fallait un homme d’une instruction universelle et d’un goût incontesté, un homme qui fût assez poète pour inventer des allégories nouvelles et flatteuses, difficiles à deviner sans être des énigmes, et éviter toute banalité ; un homme au courant des besoins esthétiques de son temps, un homme qui connût à fond l’antiquité et les amusements qui avaient servi à égayer l’ennui fatigué des empereurs romains. À Lyon il n’y avait que Scève qui fût en possession de toutes ces qualités.

Il n’y a pas de trait plus caractéristique de l’esprit qui a présidé à cette entrée triomphale, pas un qui ne le distingue d’une manière plus absolue des entrées antérieures, que cette prédilection pour l’antiquité qui apparaît à chaque moment dans la relation de Scève, et qui a donné à ces journées le caractère d’une véritable fête de la Renaissance. Rappelons le costume romain des jeunes pages de la nation lucquoise, les cuirasses et armes „à l’antique“ des enfants de la ville, la chasse de Diane avec ses nymphes, les nombreux personnages allégoriques et mythologiques accoutrés à la mode grecque ; puis le combat des gladiateurs, les faunes et satyres musiciens, la naumachie, les obélisques et arcs de triomphe, les trophées et temples ; ces détails sont autant de documents pour l’esprit de la Renaissance à Lyon.