l’auteur de la Délie est visé par les mots du chapitre sur les poètes français : Quelque autre voulant trop s’éloigner du vulgaire, est tombé en obscurité aussi difficile à éclaircir en ses escritz aux plus savants comme aux plus ignares. Mais il ne faut pas oublier que s’éloigner du vulgaire est un des principes les plus chers à Du Bellay, et que cette critique est la plus bienveillante de celles qui s’adressent aux meilleurs poètes dans l’opinion des contemporains : Marot, Héroët, Saint-Gelais et Scève.
Pour connaître à fond l’opinion de Du Bellay sur le chef de l’école lyonnaise, il nous faut examiner encore ses autres publications de la même année. L’Olive, destinée à servir de modèle à la lyrique future, en est la principale. Il est incontestable que la Délie a exercé une influence capitale sur cet ouvrage qui est le deuxième canzoniere français au sens pétrarquesque. Comme la Délie, c’est un recueil de poésies composées d’après un moule unique, (chez Scève des dizains, chez Du Bellay des sonnets), adressées à la même dame dont le nom sert de titre au livre, et les idées contenues dans ces vers sont aussi pétrarquisantes que leur forme. Ce n’est pas ici le lieu de nous occuper des ressemblances de détail dont nous parlerons plus tard ; mais il faut bien tenir compte de quelques passages qui font allusion à Scève.
N’est-ce pas Maurice Scève qui est visé par les vers suivants :
Avec la Sône arriveront à peine
A la moitié d’un si divin ouvrage.
Ne cestuy-là qui n’aguère a fait lire
En lettres d’or gravé sur son rivage
Le vieil honneur de l’une et l’autre lyre (Olive, s. LXIII)
Mais j’avoue que l’allusion n’est pas très claire et que l’attribution
n’est point sûre. Un autre sonnet adressé directement à Maurice Scève chante sa gloire en termes emphatiques. Il y est clairement désigné comme le chef des poètes lyonnais, et les auteurs de la Pléiade ne semblent pas lui accorder moins de sympathie et d’autorité qu’à l’un des leurs.
Du double mont admire en t’escoutant
Cygne nouveau qui voles en chantant
Du chaud rivage au froid hyperborée :
Si de ton bruit ma lyre énamourée
Ta gloire encore ne va point racontant.
J’aime, j’admire et adore pourtant
Le haut voler de ta plume dorée.