Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 17 —

les femmes doivent d’occuper, dans la société, une place qui diffère beaucoup de celle des femmes bourgeoises en d’autres villes de France. Au commencement du siècle, il n’y eut point de femmes dans des cercles tels que la prétendue Académie de Fourvière ; elles étaient trop ignorantes encore pour prendre part aux entretiens des savants. Mais nous les trouvons dans la société chevaleresque et galante, autour de Charles VIII et de ses seigneurs à moitié italianisés. Sous Louis XII, la cour était de même plus souvent à Lyon qu’à Paris, et elle y séjourna encore sous François Ier des années entières, pendant lesquelles elle devint le centre de la vie mondaine de Lyon. Comme il n’y avait point de noblesse lyonnaise, les riches bourgeoises furent admises aux fêtes que leurs maris avaient l’honneur d’offrir aux souverains.

Ces circonstances contribuèrent d’une façon spéciale à développer les relations des deux sexes. Fières de leurs succès mondains, les femmes firent tout pour ne rien perdre de leur conquête. Grâce à l’exemple des Italiennes dont elles fréquentaient la société, elles s’aperçurent du progrès vers la Renaissance qui s’accomplissait dans l’esprit de leurs maris ; elles comprirent qu’elles devaient faire un effort pour réaliser l’idéal de la femme telle que Baldassar Castiglione la décrivait dans sa „donna di corte“. Elles acquirent entière et familière congnoissance des plus louables vulgaires, comme le Thuscan et le Castillian et… des rudimentz de la langue Latine et Grecque, elles se rendirent parfaictement asseurées en tous instrumentz musicaulx, soit au luth, espinette et aultres, elles aspirèrent même à composer des épigrammes et chansons pour satisfaire à ceulx à qui privément en maintes bonnes compaignies elles se récitoient à propos[1], tout cela pour se rendre les dignes compagnes des hommes qu’elles admiraient pour leur science et leur vertu[2].

Cela nous amène à parler de la nouvelle doctrine, on pourrait même dire de la nouvelle religion qui a beaucoup contribué à former l’idéal nouveau de la femme, de l’amour et de la vertu, le culte de la beauté et de l’amitié : le platonisme[3]. Il avait été importé à Lyon par les Florentins, dès le milieu du quinzième siècle. Le platonisme lyonnais était indirect (au nord de la France par contre il fut direct) ; c’est-à-dire qu’il ne reposait pas au commencement sur l’étude des œuvres de Platon, mais sur l’imitation des usages de la société florentine et sur la connaissance intime de quelques œuvres de la littérature italienne imprégnées

  1. Antoine du Moulin, Préface des Rymes de Perette du Guillet, Lyon 1545.
  2. cf. le chapitre VI.
  3. cf le chapitre V.