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Eustorg de Beaulieu[1] qui, vers 1536, gagnait son pain à Lyon comme poète d’occasion et professeur de musique, donnait des leçons à une fille de cette famille, Madame Hélène de Gondi. Comme il était noble de naissance, il fut admis, malgré sa pauvreté, dans le salon de la mère qu’il a célébrée dans plusieurs épigrammes de ses Divers Rapportz[2]. Il y nomme non seulement des Lyonnais de marque comme habitués de ce cercle, mais aussi des prélats, princes et rois. C’était au temps où François Ier avait porté la cour à Lyon pour préparer la guerre de Provence ; ces mots ne peuvent se rapporter qu’à lui et à sa famille. Madame du Perron commençait dès cette époque à s’insinuer chez Catherine de Médicis dont elle garda la confiance intime jusqu’à ses derniers jours. La protection de la reine assura la prospérité prodigieuse de la famille dont le descendant le plus illustre sera le cardinal de Retz.

Il va sans dire que sa qualité d’amie d’une reine lui valut beaucoup de compliments tant en prose qu’en vers, de ses admirateurs[3] ; pourtant on la connaît surtout comme ourdisseuse de cabales. Lestoîlle et Brantôme nous assurent qu’elle fut aussi dépravée que séduisante ; nous atténuons encore l’expression employée par ce dernier quand nous la rendons par entremetteuse. Si Brantôme avait raison, si le salon le plus brillant et le plus célèbre de la société lyonnaise était présidé par une femme si vicieuse, sans aucun scrupule, ce serait là une nouvelle raison pour nous de croire que les mœurs étaient alors très relâchées à Lyon[4], surtout en ce qui concerne les relations des deux sexes. On peut comparer Lyon et Venise à divers points de vue. Les deux villes étaient des centres du commerce international, l’administration de Venise était tout indépendante, celle de Lyon l’était très peu ; les bourgeois des deux villes s’étaient très vite enrichis et aimaient à dépenser leur argent dans des fêtes brillantes. Venise était alors la ville où l’on s’amusait le mieux en Europe et nous n’avons pas besoin de détailler ces amusements. Lyon était connu dans toute la France pour son luxe excessif. Or il est bien rare qu’une société plongée dans le luxe ne connaisse point la luxure. J’ai souvent

  1. cf. l’article de la France protestante.
  2. Beaulieu, Eustorg, Les divers rapportz. Lyon, P. de Sainte-Lucie 1537. (Paris 1544).
  3. Du Verdier, Bibliothèque. Article Marie de Pierrevive. Damoiselle lyonnaise, Dame du Perron. J’ai vu plusieurs louanges de cette dame, faite par beaucoup d’écrivains de son temps, mais je n’ai pas cognoissance de ses écrits. Elle florissait du temps du Roi François I vers 1540.
  4. Scio ego famosatn galliarutn urbetn ea causa sic perversam ut vix aliqua ibi matrona pudica sit, vix filiae nubant virginea. Passage d’une lettre d’Agrippa de Nettesheim qui résidait à Lyon en 1537, cité par Moutarde, Eugène, Etude hist. sur la Réforme à Lyon. Genève 1881.