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et qui imitait le style verbeux et emphatique de la Fiammetta de Boccace. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un ouvrage original, un résumé de ce roman nous fera connaître les goûts littéraires de Scève vers cette époque.

Le héros du roman (avec qui lauteur s’identifie), Grimalte, aime la dame Gradisse en la servant avec l’obéissance forcenée d’un chevalier de la Table Ronde et avec le subtil mysticisme d’un troubadour décadent. La dame reste froide, bien froide, hélas ! à ses supplications, tout en reconnaissant que tant de fidèles services seraient dignes d’une récompense. Un jour Grimalte offre la Fiammetta à Gradisse, qui, après avoir lu ce roman, est plus que jamais convaincue que les hommes, tout comme Pamphile, ne sont humbles et dévoués envers leurs amantes que tant qu’ils n’en ont pas encore reçu de faveurs. Voilà pourquoi elle se décide à envoyer son soupirant à la recherche de Flamete qui, après être restée longtemps à dire aux dames ses plaintes et ses regrets, s’est mise à courir le monde en quête de l’amant qui l’a délaissée[1]. Grimalte est désolé de cet ordre et y voit un moyen pour sa dame de se débarrasser de lui. Il a le sentiment que cette compassion toute littéraire pour Flamette semble exclure la cruauté froide pour l’amant ; il part sans la moindre espérance de pouvoir s’acquitter de sa mission.

Grimalte a déjà traversé quasi la plus grand part du monde ; il trouve un jour près d’un carrefour, au milieu d’une montagne déserte, une femme pompeusement parée, qui, après une longue conversation, se fait connaître comme étant Flamete. L’amant de Gradisse, selon l’ordre cruel de sa maîtresse, offre à Flamete de l’accompagner à la recherche de Pamphile en partageant toutes ses privations et ses souffrances. Ils parcourent tous les pays de la terre avec un insuccès constant. À la fin ils s’avisent de chercher Pamphile dans sa ville paternelle (il est étrange que cette idée ingénieuse ne leur soit pas venue tout d’abord), et


    la version italienne qui lui avait servi d’original et dont il avait accepté comme titre les noms altérés des deux amants Aurelio et Isabelle (exemplaire au British Museum ; Brunet n’en cite que des éditions à partir de 1547). — L’original espagnol de la Mort de Flamete porte le titre Grimalte y Gradissa. En 1883, on en publia une réimpression à Madrid, en caractères gothiques. L’original est sans date. — cf. G. Baist. Die spanische Literatur. Gröbers Grundriss. t. II 2. p. 442-43. Strassburg 1897, et Arthur Tilley, The litterature of the French renaissance. Cambridge 1904. t. I, p. 51 et 137.
    Depuis trois ans la Fiammetta était très en vogue à Lyon ; dans la même année il en avait paru deux traductions : Complainte des tristes amours de Flammette à son ami Pamphile, translatée d’italien en vulgaire françois. Lyon, Claude Nourry 1539. — La complainte trespiteuse de Flamete Lyon, François Juste 1532.

  1. Dans la Fiammetta de Boccace je n’ai rien trouvé qui se rapportât à un départ de l’héroïne à la recherche de son ami infidèle.