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Il n’y a presque point d’écrivain français, entre 1540 et 1550, qui n’ait pris part à cette discussion à laquelle nous devons (Abel Lefranc vient de le prouver), à côté de nombreux ouvrages oubliés aujourd’hui, des chefs d’oeuvre comme l’Heptaméron et le tiers livre de Pantagruel. Mais ce sont justement les auteurs les plus sympathiques qui se gardent de donner à leurs ouvrages des allures polémiques, sachant bien que la plupart des collaborateurs des Opuscules d’Amour avaient choqué le goût raffiné de la Renaissance par leurs petits poèmes pédantesques et criards. Cela dut être l’avis de Maurice Scève qui se rangea certainement du côté d’Héroët. Dès sa jeunesse il avait été admirateur fervent de Pétrarque, et, dans le commerce qu’il avait eu avec des Italiens instruits — avec des Florentins surtout — déjà comme étudiant, le nouvel esprit et la nouvelle philosophie n’avaient pu lui rester cachés. Ses Blasons en font foi par la chasteté de leur langage, par l’immatérialité extraordinaire de leurs idées et par l’indépendance de leur conception. Depuis, il n’avait pas cessé de faire des poésies d’amour qui circulaient chez ses amis, et qu’on le priait de publier.

À ce moment l’occasion lui parut favorable de les mettre en lumière. De nombreux Français avaient abandonné les préjugés de la tradition gauloise concernant les relations des deux sexes ; la dispute engagée par Héroët avait frayé la voie à une conception nouvelle de l’amour, identique à celle de Pétrarque et des autres poètes lyriques de l’Italie qui avaient servi de modèle à Maurice Scève. Il ne lui restait qu’à grouper ses poésies, à éliminer celles qui ne convenaient pas au cadre du livre qu’il se proposait de publier, à compléter peut-être le nombre de celles qu’il allait accepter dans son recueil, auquel il voulait donner une disposition symétrique en groupant les dizains (d’autres formes poétiques n’étaient pas admises) d’après des principes mathématiques. Il réussit si bien à faire ressembler ce recueil de vers d’occasion à un poème fait d’un seul jet que même un critique aussi expérimenté que M. F. Brunetière a été trompé par cet arrangement.

Le nom par lequel Scève désigne la femme à laquelle sont adressés tous ces vers, fut le titre du livre ; le poète y ajouta la qualité qui la distinguait à ses yeux et qui la lui rendait chère : Délie, object de plus haulte vertu parut en 1544 chez le marchand libraire Antoine Constantin (homme de tendances évangéliques), imprimée par Sulpice Sabon. C’était probablement au printemps ; le privilège du libraire est daté du 30 octobre 1543.

La Délie est l’ouvrage principal de Maurice Scève ; ses contemporains et les critiques modernes le connaissent surtout comme