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Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/91

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Par ce dixain clerement je m’accuse
De ne savoir tes vertus honorer,
Fors du vouloir qui est bien maigre excuse :
Mais qui pourroit par escript décorer
Ce qui de soy se peult faire adorer ?
Je ne dis pas, si j’avais ton pouvoir,
Qu’a m’acquitter ne feisse mon debvoir,
A tout le moins du bien que tu m’advoues.
Preste-moy donc ton éloquent savoir
Pour te louer ainsi que tu me loues.

Autre preuve de la réciprocité de leurs amours : les Rymes de Pernette sont suivies de quatre épitaphes dont les deux premiers sont signées m. se. (Maurice Scève). On est étonné de ne pas y trouver les cris de douleur d’un amant qui a perdu sa maîtresse ; Scève fait abstraction de sa personne, ne voulant pas mettre à nu son cœur devant le public, et chante seulement les hautes qualités de la défunte.

D’après ses poésies et d’après l’épître aux dames lyonnaises, Pernette était bien digne de l’amour d’un poète. Antoine du Moulin nous la présente comme un prodige dans tous les arts appréciés dans un salon mondain, et dans les sciences qu’une société érudite sait estimer. Car veu le peu de temps que les cieulx l’ont laissée entre nous, il est quasi incroyable comme elle a peu avoir le loysir, je ne dis seulement de se rendre si parfaictement asseurée en tous instruments musicaulx, soit au luth, espinette et aultres, lesquels de soy requièrent une bien longue vie à s’y rendre parfaictz comme elle estoit, et tellement que la promptitude qu’elle y avait, donnoit cause d’esbahissementz aux plus expérimentez : mais encores à si bien dispenser le reste de ses bonnes heures qu’elle l’ayt employé à toutes bonnes lettres, par lesquelles elle avoit eu premièrement entière et familière congnoissance des plus louables vulgaires (outre le sien) comme du Thuscan[1] et du Castillan[2], tant que sa plume

  1. Parmi les vers français des Rymes, il y a aussi deux madrigaux italiens ; j’en cite un pour prouver que le platonisme n’avait point étouffé la volupté dans l’âme de Pernette.
    Colpa ne sei amor, se troppo volsi
    Aggiongendo alla tua la bocca mia :
    Ma se punir mi vuoi di quel che tolsi,
    Fa che concesso il replicar mi sia :
    Che tal dolcezza in le tuoi labbia accolsi,
    Che fu lo spirto per partirsi via ;
    Sô qu’ai secondo bacio uscirà fuora :
    Baciami dunque se tu vuoi ch’i muora.

    Malgré le peu de correction (le tuoi labbia !), cet italien me paraît assez élégant. — Dans un dizain, Pernette décide de la valeur des langages italien et français en disant que celuy depeinct que cestuy veult dire.
  2. Elle fait passer la Suyte de la Déploration de Vénus sur la mort du bel Adonis (poésie commencée par Mellin de Saint-Gelais) pour une version de l’espaignol du Coude Claros de Adonis.