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ARISTOTE.

parties. On satisfait premièrement aux passages d’Aristote qui semblent contraires à la thèses, et qui sont des preuves d’autorité pour l’autre parti ; ensuite, on satisfait aux raisons mais on se garde bien de dire : J’avoue qu’Aristote a cru cela, et je nie néanmoins que ma thèse, où je soutiens une autre doctrine, soit fausse. On emploie son industrie à donner aux passages objectés un sens qui s’accommode avec la chose eu question. On en use encore ainsi dans les écoles de théologie à l’égard de saint Augustin et de Thomas d’Aquin, parmi ceux de l’église romaine.

(M) On s’est entêté du plus faible de ses ouvrages, je veux dire de sa Logique et de sa Physique.] Pour être convaincu de la faiblesse ses ouvrages, il ne faut que voir Gassendi dans ses Exercitationes paradoxicae adverstus Aristoteleos (8o).I1 en dit assez contre la philosophie d’Aristote en général, pour persuader à tout lecteur non préoccupé, quelle est très — défectueuse ; mais il ruine en particulier la dialectique de ce philosophe. Il se préparait à critiquer de la même sorte la Physique, la Métaphysique, et la Morale, lorsqu’ayant appris l’indignation formidable du parti péripatéticien contre lui, il aima mieux abandonner son ouvrage, que s’exposer à de fâcheuses persécutions.

Notez qu’on ne prétend pas nier qu’il ne se trouve dans la Logique et dans la Physique d’Aristote beaucoup de choses qui marquent l’élévation et la profondeur de son génie. On peut convenir de cela, et juger en même temps qu’il y a de l’hyperbole dans les louanges de Casaubon : Ego pueros puto fuisse (stoïcos in logicâ) proe divino Aristotelo, et eorum in hoc genere scripta uqlon kai jlhnajon prœ Aristotelis organo ; quo opere omnia mortalium ingénia (divina aut de rebus divinis semper excipio) longé superavit (81) : et dans ce passage du père Rapin : « Il ne parut rien de réglé et

 " d’établi sur la logique devant Aris‑

 " tote (*). Ce génie, si plein de raison

(80) Elles sont dans le IIIe. volume de ses œuvres.

(81) Casaubon., in Persium, Sat. V, vs. 86, pag. 415.

(*) Aristoleles utriusque partis dialecticae princeps, Ciceron, Topic. cap. II

 " et d’intelligence, approfondit telle‑

 " ment l’abîme de l’esprit humain,

 " qu’il en pénétra tous les ressorts,

 " par la distinction exacte qu’il fit de

 " ses opérations. On n’avait point en‑

 " core sondé ce vaste fond des pensées

 " de l’homme, pour en connaître la

 " profondeur. Aristote fut le premier

 " qui découvrit cette nouvelle voie,

 " pour parvenir à la science par l’é‑

 " vidence de la démonstration, et pour

 " aller géométriquement â la démon‑

 " stration par l’infaillibilité du syl‑

 " logisme, l’ouvrage le plus accompli,

 " et l’effort le plus grand de l’esprit

 " humain. Voilà en abrégé l’art et la

 " méthode de la Logique d’Aristote,

 " qui est si sûre, qu’elle ne peut avoir

 " de parfaite certitude dans le raison-

 " nement, que par cette méthode,

 " laquelle est une règle de penser

 " juste ce qu’il faut penser (82). " On peut louer dignement le Traité du Syllogisme de ce philosophe, sans employer des expressions si outrées. Il y a dans sa Physique plusieurs questions très-sublimes, qu’il pousse et qu’il éclaircit en grand maître ; mais enfin, le gros, le total de cet ouvrage, ne vaut rien : infelix operis summa. La principale source de ce défaut est qu’Aristote abandonna le chemin des plus excelleras physiciens qui eussent philosophé avant lui. Ils avaient cru que les changemens qui arrivent dans la nature ne sont qu’un nouvel arrangement des particules de la matière : ils n’avaient point admis de génération proprement dite. Ce fut un dogme qu’il rejetta (83) ; et, par cette réjection, il fut dérouté. Il fallut qu’il enseignât qu’il se produit de nouveaux êtres, et qu’il s’en perd. Il les distingua de la matière, il leur donna des noms inconnus, il affirma ou il supposa des choses dont il n’avait aucune idée distincte. Or, il est aussi impossible de bien philosopher sans l’évidence des idées, que de bien naviguer sans voir l’étoile polaire, ou sans avoir une boussole. C’est perdre la tramontane, que d’abandonner cette évidence ; c’est imiter un voyageur qui, dans un pays inconnu, se déferait de son guide ; c’est vouloir rôder de nuit

(82) Rapin, Reflex. sur la Logique, mue. 4, Pag. 3-4, 3-5.

(83) Voyez le Ier. livre d’Aristote, de Generatione et Corruptione