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ANABAPTISTES.

rapporterai quelques raisons que l’on allègue pour justifier leur sévérité (L). On marque dans le Moréri de Hollande les principaux dogmes qui sont particuliers aujourd’hui aux anabaptistes ; c’est pourquoi je ne les coterai point. Il est sûr que la description que le sieur Moréri donne de cette secte ne convient point au temps où il écrivait, et je doute un peu que jamais on ait eu raison de la charger de ces deux doctrines qu’il lui impute (M) : l’une est, qu’ils enseignent qu’une femme est obligée de consentir à la passion de ceux qui la recherchent ; l’autre est, qu’ils condamnent le mariage des personnes qui n’adhèrent pas à leurs sentimens. Il faut regarder comme une fable ce que disent quelques auteurs, qu’il y a eu des catholiques romains qui, s’étant faits anabaptistes, avaient acquis tout aussitôt la capacité de lire et de discourir sur des matières de religion ; mais qu’étant rentrés dans le papisme, ils oublièrent tout, et se trouvèrent ignorans comme auparavant[a].

    Lettr. IV, pag. 100 et suiv. Mais plutôt voyez les Annal. Anabaptist, de Jean Henri Ottius, imprimées à Bâle, l’an 1672.

  1. Lindanus, Dial. III Dubitantii, et Thyræus, lib. de Dæmoniacis, cap. XXI, apud Theophil. Raynandum, theologiæ Natur. Dist. IV, num. 330, pag. 404.

(A) Ils abusèrent d’une proposition …. que Luther prenait dans un fort bon sens. ] C’est ce qu’il fit voir par l’explication de sa pensée, dès qu’il eut vu comment ces gens-là avaient abusé de ses expressions : Quæ verba sano sensu à Luthero.… scripta et prolixâ ἐξηγήσει declarata, oppositoque aphorismo eumdem omnium servum esse et omnibus subjectum exposita, detorta fuêre in sensum sequiorem ab hominibus suæ pariter et alienæ quietis impatientibus[1]. Ses adversaires les plus passionnés demeurent d’accord qu’il désapprouva la conduite séditieuse qui par accident semblait être née de sa doctrine. Le père Maimbourg raconte que les rebelles, ayant envoyé leur manifeste à Martin Luther, furent trompés dans l’espérance qu’ils avaient eue de le lui faire approuver [2] ; car, ajoute-t-il, Luther, voyant que plusieurs l’accusoient d’avoir donné lieu à cette révolte par les livres qu’il avoit écrits en langue vulgaire pour la liberté évangélique, contre la tyrannie de ceux qui l’opprimoient par des traditions humaines, leur répondit par un long écrit, où il leur montre que l’escriture les oblige de se soumettre aux princes et aux magistrats, quand même ils abuseroient du pouvoir que Dieu leur a donné sur eux ; qu’ils doivent s’adresser à Dieu, et cependant souffrir en patience, en attendant qu’il y mette ordre comme il luy plaira ; et que la voye des armes, qu’ils ont prise, sera cause de leur damnation, s’ils ne les mettent bas. Nous verrons dans l’article Munzer[* 1], qu’il rejeta bientôt les propositions de ce fanatique.

(B) Les ministres... réfutaient soigneusement ces sectaires ; mais... les magistrats recouraient à la voie de l’autorité. ] Les plus ardens ennemis du luthéranisme auraient eu bien de la peine à imaginer une méthode aussi capable de l’étouffer dans le berceau, que l’était le schisme que Munzer et ses adhérens formèrent. Ils prêchaient une doctrine qui tendait au renversement total des sociétés, et ils la mettaient en pratique avec des ravages inconcevables. Ils avaient eu des liaisons avec Luther, et ils convenaient avec lui que le christianisme devait être réformé selon la pure parole de Dieu[3]. Ainsi toute la haine que l’on concevait contre eux retombait sur lui et sur ses semblables ; et quand on voyait les suites funestes

  1. * Cet article n’existe pas, comme on l’a déjà dit.
  1. Frider. Spanhemius, de Origine, Progressu, Sectis, et Nominibus Anabaptistarum, pag. 196. Je me sers de l’édition insérée dans la Gangræna Theologiæ Anabaptisticæ de Clopenbourg.
  2. Maimbourg, Hist. du Luthéranisme, liv. I, pag. 114, édition de Hollande.
  3. Voyez Spanhem. de Origine Anabaptistarum, pag. 198.