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APICIUS.

fecisse autorem esse vetustissimum, hæc nota occurrit : « Quàm vereor ne tuæ nares obesiores fuerint ! quid enim vetustatis redolere possunt verba semibarbara, et ab eo florenti seculo prorsùs aliena ? Ego verò, ut quod sentio paucis expediam, commentum puto esse hominis otiosissimi, qui cùm illudere posteris ejusdem naris facilè sibi esse persuasisset, mentito nomine Apicium credidit venditare posse. Sed passìm occurrunt, quibus penè manifesto prodit seipsum autor ineptus, barbarus, et nullius in eâ arte ingenii, aut gustûs qui ea interdùm conjungat ad saporis gratiam, quæ usu docente omnes scimus summam palato molestiam nauseamque stomacho creare solere [1]. » Ce jugement de Latinius n’est pas mauvais : Isaac Grangæus eût mieux fait de s’y conformer, que de prétendre que les dix livres de Re coquinariâ, qui courent sous le nom d’Apicius, ont été écrits par notre second Apicius [2]. J’avoue que le scoliaste de Juvénal observe que cet Apicius fit un traité de cuisine [3] : j’avoue aussi qu’Isidore de Séville attribue un semblable ouvrage à ce même Apicius : Coquinæ apparatum Apicius quidam primus composuit, qui in eo, absumptis bonis, morte voluntariâ periit [4]. Mais ce ne sont pas deux écrivains dont le témoignage puisse balancer le poids du silence de tant d’auteurs plus dignes de foi, et qui ont eu des occasions inévitables de citer ce livre d’Apicius. En tout cas, la bonne critique demande que nous jugions que si ce livre a existé, ce n’est point celui qu’Albanus Torinus a mis en lumière.

(C) J’ai découvert quelques fautes à son sujet dans différens auteurs. ] Je commence par M. Moréri. Il ne devait pas dire, ni que l’Apicius dont parle Sénèque a écrit un ouvrage des délicatesses du manger, ni qu’il se pendit de désespoir, voyant qu’il avait dissipé tout ce qu’il avait. M. Moréri cite Sénèque lib. de Consol. Cela est trop vague, puisque nous avons trois traités de ce philosophe intitulés : de Consolatione. Il fallait citer celui qu’il adresse à sa mère. On y voit qu’Apicius s’empoisonna pour avoir trouvé, par le calcul de ses biens, qu’il ne lui restait que la somme de 250 mille livres, toutes ses dettes payées [5] : Ære alieno oppressus, rationes suas tunc primùm coactus inspexit. Superfuturum sibi sestertium centies computavit, et velut in ultimâ fame victurus si sestertio centies vixisset, veneno vitam finivit. Quanta luxuria erat, cui sestertium centies egestas fuit [6]. Martial a fait là-dessus cette épigramme :

Dederas, Apici, bis tricenties ventri,
Sed adhuc supererat centies tibi laxum.
Hoc tu gravatus, ne famem et sitim ferres,
Summâ venenum potione duxisti.
Nil est, Apici, ubi gulosius factum [7].


N’avoir pas suivi l’auteur qu’on cite, quant au genre de mort, est une petite faute ; mais on a ôté à cette histoire tout son merveilleux, lorsqu’on a supprimé la somme qui restait à ce prodigue. La citation d’Athénée, liv. ii, ne vaut rien du tout. Enfin, M. Moréri devait savoir qu’il y a eu trois Apicius, et ne se borner pas à un. Charles Étienne prétend que l’Apicius dont parle Sénèque[8], se pendit, et qu’il avait publié un livre de Gulæ Irritamentis, qui est encore aujourd’hui entre les mains de tout le monde. Il n’y a point de bon critique qui croie que l’ouvrage que nous avons de Re culinariâ soit de l’Apicius dont Sénèque fait mention [9] ; quoi qu’il en soit, voilà sur quel original M. Moréri a fait une partie de ses fautes. C’est de là qu’il a tiré qu’Apicius se pendit, qu’Apicius écrivit un livre des Délicatesses du manger. Il fallait aussi en prendre qu’Apicius avait encore 250 mille francs ; car c’est un fait que Charles Étienne

  1. Joh. Albertus Fabricius, in Biblioth. Lat. Append., pag. 179.
  2. Isaacus Grangæus in Juvenal., Satir. IV, vs. 23.
  3. Auctor præcipiendarum cœnarum, qui scripsit de juscellis : fuit enim exemplum gulæ. Vetus Scholiast., in Juven., Sat. IV, vs. 23.
  4. Isidor. Hispalens. Origin. lib. XX, cap. IV, apud Joh. Alb. Fabricium, Biblioth. Latinæ pag. 132.
  5. Je me sers de l’évaluation de Lipse sur les Annales de Tacite, liv. IV, chap. I.
  6. Seneca, de Consol. ad Helviam, cap. X.
  7. Martial., Epigr. XXII, lib. III.
  8. Charles Étienne le cite in libro de Consolatione ad Albinam. Casaubon, sur Athénée, pag. 23, cite de même.
  9. Voyez la remarque (B), vers la fin.