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APION.

croit notre continuateur, il ne s’agissait que de cela, et ce n’était point la ville d’Alexandrie qui se plaignait des Juifs, c’était Caligula qui se plaignait de ce qu’ils n’avaient pas voulu recevoir son image dans le Temple de Dieu. Il faut avouer que cet empereur fit de grands efforts pour faire placer sa statue dans le Temple de Jérusalem [1] ; mais avouons aussi, que l’ambassade de Philon, ni celle d’Apion, ne regardaient pas ce fait. Philon, lorsqu’il rapporte si exactement les plaintes et les questions que Caligula lui fit, ne raconte rien qui concerne cette statue du Temple [2]. Caligula fait des plaintes générales de ce que les Juifs étaient les seuls qui refusaient de l’honorer comme un dieu. Apion l’avait déjà aigri sur ce sujet, afin de l’empêcher de rendre justice sur le fond de l’affaire. Il s’agissait proprement des priviléges dont les Juifs devaient jouir dans Alexandrie : leur cause était bonne, ils l’auraient gagnée devant des juges désintéressés. Que fit Apion ? il donna le change, il rendit odieux les juifs à Caligula, il se jeta sur les accusations d’impiété, il amusa le bureau par des incidens captieux. C’est ainsi qu’en usent tous les jours les faux dévots, pour se maintenir dans la très-injuste domination qu’ils usurpent, tant sur les consciences, que sur toutes sortes d’affaires. On ne saurait trop souvent le répéter.

(F) Josephe se crut obligé de réfuter des calomnies malicieuses dont cet auteur avait chargé les Juifs. ] Le continuateur de Moréri bronche encore en cet endroit. Cela, dit-il, donna lieu ensuite à Josephe d’écrire la vie et les erreurs d’Apion. Il n’est point vrai que Josephe ait écrit la vie de ce grammairien, et c’est parler peu exactement, que de dire qu’il écrivit ses erreurs. Ces paroles inspirent naturellement cette pensée : c’est que Josephe écrivit un livre de controverse contre les hérésies d’Apion. La vérité est, qu’ayant appris que plusieurs critiques s’étaient élevés contre ses Antiquités judaïques, non pas pour en condamner la forme ou le style, mais pour l’accuser de mille fables débitées à l’avantage de sa nation, il composa une Apologie, où il répondit à ces censures, et aux calomnies que l’on débitait contre les Juifs. La moitié de l’Apologie ne regarde pas Apion, quoiqu’on la cite ordinairement comme si elle était toute contre Apion. Elle est citée par Origène sous le titre de Antiquitate Gentis Judaïcæ [3].

(G) On connaît le titre de quatre ou cinq de ses livres. ] J’ai parlé de ses Antiquités d’Égypte, divisées en cinq livres [4], et de son Traité contre les Juifs. J’ajoute qu’il composa un Traité de Luxu Apicii [5], un autre de Linguâ Romanâ [6], et un autre de Disciplinâ metallicâ [7]. Suidas lui attribue une histoire où il traitait de chaque nation, ἔγραψεν ἱςορίαν κατ᾽ ἔθνος, scripsit Historiam de singulis gentibus. La fameuse histoire du lion d’Androcle n’est connue que par le récit d’Apion. Il en parle comme témoin oculaire. Aulu-Gelle la rapporte après lui [8]. Il lui doit une autre remarque, c’est la raison pour laquelle les anciens portaient une bague à la main gauche au doigt le plus voisin du petit. Apion en donnait une raison tirée des découvertes qu’on avait faites en Égypte par l’anatomie [9].

(H) Une faute échappée au père Rapin, au sujet d’Apion, a été cruellement relevée par le jésuite Vavasseur. ] Il raconte d’abord le fait, et puis il ajoute : « Devinez, lecteur, la plaisante méprise du réflexif, pour avoir mal entendu deux mots de ce commentateur [10]. Au lieu que j’ai mis, dès qu’il fut sorti de l’école du professeur, il peignit l’image de Jupiter ; notre réflexif, pour exprimer ces mots d’Eustathius, καὶ ἀπιὼν ἔγαψεν, et egressus pinxit, s’est avisé de mettre comme l’écrit Apion le grammairien. En quoi le bon homme certes n’a pris garde à rien. Il ne s’est pas aperçu, ni que ce participe ἀπιὼν n’est pas Ἀπίων, comme s’appelle ce grammairien ;

  1. Philo, de Legat.
  2. Ibid., pag. 1041 et seqq.
  3. Orig., contra Celsum.
  4. Tatianus, apud Euseb. Præpar. Evang., pag. 493.
  5. Athen., lib. VII, pag. 294. F.
  6. Idem, lib. XV, pag. 680, D.
  7. Plinius, in indice libri XXXV.
  8. Aulus Gellius, lib. V, cap. XIV.
  9. Idem, lib. X, cap. X.
  10. C’est-à-dire, d’Eustathius.