Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
ARAGON.

Mais il fallait observer cette différence, que celui dont Aconce se plaint était fiancé avec la malade. Sans cela, elle n’aurait pas osé avouer, en répondant à Aconce, que ce rival ne la baisait que quelquefois, oscula rara accipit. Brantome cite en quelque endroit de ses mémoires ce sonnet de Ronsard, et en dit de bonnes à cette occasion.

(E) On...... lui défendit de sortir de Rome. Elle ne laissa pas d’en sortir bien adroitement. ] Le passage que je vais citer d’Antoine-Marie Gratiani, contient en beaux termes la preuve dont j’ai besoin : Joanna Arragonia, Marci Antonii mater, virilis audaciæ femina, quæ virorum quoque consiliis apud filium habitis interfuerat, continere se domi, neque pedem indè efferre fuerat jussa ; id enim sic indulserat dignitati ejus pontifex, ne in carcerem duceretur. Ea cùm rem spectare ad arma bellumque, et primum pontificiorum impetum in oppida filii fore intelligeret, vestibus manè summo commutatis, cum filiâ et nuru, corruptis aut deceptis portæ custodibus, egressa Urbe, conscensis quos ad id præparaverat equis, protinùs Neapolim aufugit. Pontifex, quanquàm deceptum se delusumque à feminâ graviter ferebat, acerbiùs tamen Hispanis, quorum ea consiliis administrarentur, irascebatur [1]. Ce fut en conséquence de cette évasion, et des autres sujets de colère qui aigrirent l’esprit du pape contre les Colonnes, qu’il « adressa [2] un Monitoire à Jeanne d’Aragon, par lequel il lui défendait de marier pas une de ses filles, sans sa permission ; faute de quoi, le mariage, même après la consommation, serait nul [3]. »

(F) Elle était mal avec son mari, qui était aussi en une mésintelligence outrée avec son fils. ] Le cardinal Palavicin remarque qu’Ascagne Colonne avait fait tant de violences à ses créanciers, que le procureur fiscal le fit citer pour lui faire rendre compte de sa conduite. Comme Ascagne ne comparut point, on le condamna par contumace, et en lui confisqua ses terres. Marc-Antoine son fils, brouillé avec lui depuis long-temps, prit cette occasion de dépouiller son propre père, en s’emparant des biens confisqués, dont il chassa les ministres de la justice, peu avant la mort de Jules III : In ipsâ rei confectione Marcus Antonius ejus filius, cui cum parente veteres et nunquàm satis compositæ controversiæ intercedebant, vim interposuit, eodemque tempore patrem oppidis spoliavit, ab eisque fisci ministros procul habuit [4]. Il était sorti de Rome contre la défense de Paul IV. Cette désobéissance, jointe aux griefs précédens, obligea ce pape à publier des monitoires contre le père et contre le fils. Le père s’excusa sur la prison où il était détenu à Naples, pour avoir tâché d’exciter un soulèvement ; le fils allégua qu’il avait mis en sequestre les terres entre les mains de Mendoza, qui ne pouvait s’en dessaisir sans l’ordre de l’empereur. Palavicin ne parle point de la femme d’Ascagne Colonne : j’en suis surpris ; mais comme nous savons d’ailleurs qu’elle fut mêlée à Rome dans les intrigues de son fils, et que son fils était mal avec son père, nous pouvons hardiment penser qu’elle n’était pas trop bien avec son mari. Gratiani parle plus positivement de la conduite très-odieuse de Marc Antoine envers son père : Ante omnes, dit-il [5], Colonniorum familia, magna in civitate pollensque pro illo (Cæsare) stabat, cujus princeps Marcus Antonius cùm paulò antè Ascanium patrem à quo hostili odio dissidebat insimulatum majestatis in custodiam tradendum Neapoli curâsset, aliquot oppidis intra fines romanæ ecclesiæ haud longè ab Urbe imperitabat.

(G) Elle avait une sœur qui fut fort belle jusque dans sa vieillesse, et qui eut une bru illustre. ] Voici comme un auteur espagnol parle de ces trois dames : Que cosas no podrian decirse en laude y exaltacion de la hermosissima duquesa de Tallacoza, donna Joana de Aragon, muger de sangre real, y en summo grado casta, y

  1. Gratianus, de Casibus Virorum illustrium, pag. 322.
  2. Le 2 janvier 1556.
  3. Fra-Paolo, Hist. du Concile de Trente, pag. 723 de la traduction d’Amelot, édition d’Amsterdam, en 1686.
  4. Pallavic., Histor. Concil. Trident., lib. XIII, cap. XIV, num. 9.
  5. Gratian., de Casibus Viror. illustrium, pag. 320.