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ARAGON.

disputa le terrain en toutes choses. La jeune Isabelle eut tant de chagrins à essuyer dans ce conflit, et dans cette espèce de faction qui vaut bien la peine d’être décrite (C), qu’elle fit savoir à son père et à son aïeul, que si l’on ne la tirait pas de cette misère, elle attenterait à sa vie [a]. Ces princes ne furent pas en état de réduire Louis Sforce à la raison, car il fut l’un des instrumens qui attirèrent les Français en Italie : ce qui abîma toute la maison d’Aragon, qui régnait à Naples. Il poussa son crime jusqu’à se défaire de son neveu [b] (D). On eut beau dire que Jean Galeas était mort de trop caresser sa femme, la tradition, qui a imputé sa mort à l’ambition de son oncle, a prévalu (E). La princesse Isabelle se retira à Naples, après que les Français eurent pris Milan, et parut la plus affligée de toutes les princesses ses parentes, qui se trouvèrent en grand nombre dans l’île d’Ischia, lorsque le roi Frédéric fut obligé de se remettre à la discrétion de Louis XII, l’an 1501 [c]. Elle ne fit que passer de deuil en deuil pendant un assez long temps : elle perdit dans l’espace de quelques années son aïeul, son mari, son père, son frère, son oncle, son fils (F). La seule consolation qui lui restait fut de voir que Louis Sforce, son persécuteur, expia ses crimes en France, dans une dure captivité, qui ne finit que par sa mort. Elle eut une autre consolation, aussi sensible peut-être, ou même plus sensible que celle-là : c’est que sa fille unique ; Bonne Sforce, fut mariée à Sigismond, roi de Pologne. Elle s’était retirée dans une ville du royaume de Naples, qui lui avait été donnée pour son douaire [d], et elle y vécut d’une manière, qui témoigna que les revers de la fortune n’avaient point abattu cet air de grandeur royale sous lequel elle avait été élevée. Elle mourut d’hydropisie ; mais elle avait eu le temps de faire un voyage de dévotion à Rome sous le pontificat de Léon X. Elle alla à pied au Vatican, suivie d’un grand nombre de dames parées comme des épousées. Toute la ville accourut à ce spectacle [e]. Il serait à souhaiter pour sa mémoire, que nous pussions finir ici son article, sans y ajouter une queue qui est un peu incommode ; mais nous ne sommes pas les maîtres de ces faits. Ses propres panégyristes se sont servis de la conclusion que l’on va voir. Cette dame qui, dans sa plus grande jeunesse, avait fait parler glorieusement de sa vertu, donna prise aux médisances quand elle fut sur le retour, et souffrit les galanteries de Prosper Colonne, avec très-peu d’égards pour la renommée (G). Sa fille, reine douairière de Pologne, s’étant retirée à la même terre du royaume de Naples, y suivit cet exemple maternel (H) : tant il est vrai que c’est l’écueil le plus ordinaire et le plus inévitable

  1. Voyez la remarque (C).
  2. Conjuge Joanne Galeacio orbata est ; eò quidem luctuosiùs ac miseriùs, quòd is veneficio sublatus crederetur. Jovius, Elogior. lib. V, pag. 422.
  3. Gratianus, de Casibus Viror. illustrium, pag. 41.
  4. À Bari. Voyez la dernière remarque.
  5. Jovius, Elogior. lib. V, pag. 422.