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ARCÉSILAS.

nécessairement, si l’on ignorait ce qui est utile ou pernicieux à la vie. » Si autem (ut docui) nulla potest esse in homine interna et propria scientia, ob fragilitatem conditionis humanæ, Arcesilæ manus vicit. Sed ne ipsa quidem stabit, quia non potest omninò nihil sciri. Sunt enim multa, quæ natura ipsa nos scire, et usus frequens, et vitæ necessitas cogit. Itaque pereundum est nisi scias quæ ad vitam sunt utilia, ut appetas, quæ periculosa, ut fugias et vites [1]. Lactance nous donne ensuite un détail de plusieurs choses que les hommes savent, et se moque d’Arcésilas, qui ne pouvait dégrader les autres, sans se dégrader soi-même, puisqu’ils pouvaient lui répondre : Si vous prouvez que nous n’avons point de science, et qu’ainsi nous ne sommes pas philosophes, vous ne l’êtes point non plus ; car vous confessez que vous ne savez rien. Il se coupait donc la gorge avec le même poignard qu’il employait à tuer les autres : Quid ergò promovit Arcesilas, nisi quod confectis omnibus philosophis seipsum quoque eodem mucrone transfixit [2] ? Lactance ne le blâme pas en tout, il le loue d’avoir connu la folie de ceux qui croient que des conjectures de la vérité sont une science : Rectè vidit Arcesilas arrogantes vel potiùs stultos esse qui putent scientiam veritatis conjecturâ posse comprehendi [3] ; mais il s’arrête très-peu à le louer : il passe d’abord au reproche de contradiction que l’on a tant fait aux Pyrrhoniens : « Par cela même que vous ne savez aucune chose, vous en savez une. » Arcesilas…… introduxit genus philosophiæ ἀσύςατον, quod latinè instabile, sivè inconstans possumus dicere. Ut enim nihil sciri posse sciendum sit, aliquid sciri necesse est, nam si omninò nihil scias, idipsum nihil sciri posse tolletur. Itaque, qui velut sententiæ loco pronunciat nihil sciri, tanquam præceptum profitetur, et cognitum, ergò aliquid sciri potest. Huic simile est illud, quod in scholis proponi solet in asystati generis exemplum, somniâsse quemdam, ne somniis crederet : Si enim crediderit, tum sequitur, ut credendum non sit ; si autem non crediderit, tum sequitur, ut credendum sit. Ita si nihil sciri potest, necesse est idipsum sciri quod nihil sciatur. Si autem scitur, posse nihil sciri, falsum est ergò quod dicitur, nihil sciri posse. Sic inducitur dogma sibi ipsi repugnans, seque dissolvens [4]. Enfin Lactance confesse qu’à l’égard de la physique il n’y a aucune science, et qu’il ne faut pas même l’y rechercher : Quant faceret sapientiùs, ac veriùs, si exceptione factâ, diceret causas, rationesque duntaxat rerum cœlestium, seu naturalium, quia sunt abditæ, nesciri posse, quia nullus doceat, nec quæri oportere, quia inveniri quærendo non possunt [5] !

Faisons quelques petites remarques sur cette dispute. 1o. L’argument dont il se sert pour ruiner toutes les sectes de philosophie, les unes par les autres, prouve trop. Un athée qui s’en servirait aujourd’hui, pour renverser tout le christianisme, raisonnerait mal : les sectes chrétiennes s’entre-damnent les unes les autres, je l’avoue ; mais si vous en condamniez une dans tous les points de sa doctrine, vous n’obtiendriez pas l’approbation de toutes les autres. 2o. Lactance se contredit pitoyablement. Il avoue que s’il n’y a point de science parmi les hommes, Arcésilas gagne la victoire ; et il prétend avoir démontré que nous sommes trop fragiles pour parvenir à la science. Pourquoi donc tout aussitôt ajoute-t-il qu’Arcésilas perd la victoire, vu qu’il y a plusieurs sciences parmi les hommes ? 3o. Les exemples qu’il en donne sont nuls ; car ce n’est point une science, au sens que l’on prend ce mot dans cette dispute, que de savoir discerner les bons alimens d’avec les mauvais ; et cette sorte de connaissance n’a point été révoquée en doute par les acataleptiques. 4o. Le reproche de contradiction a moins de solidité que de faux brillant ; c’est plutôt une subtilité qu’une raison convaincante : le bon sens débrouille bientôt cet embarras. Si je songe que je ne dois pas croire aux songes, me voilà bien attrapé ; car si je n’y crois pas, j’y croirai ; et si j’y crois, je

  1. Lactant., Divin. Institution., lib. III, cap. IV, pag. 155.
  2. Idem, ibid., cap. V, pag. 156.
  3. Idem, ibid, cap. VI, pag. 157.
  4. Idem, ibid.
  5. Idem, ibid., pag. 158.