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ARCHILOCHUS.

(K) Il a excellé dans les vers ïambiques, dont il était l’inventeur. ] C’est ce qui paraît par ces vers d’Horace à l’épître XIX du Ier. livre, vs. 23.

.........Parios ego primus iambos
Ostendi Latio, numeros animosque secutus
Archilochi....................


mais plus clairement encore par ce passage de Paterculus : Neque quemquam alium cujus operis primus auctor fuerit in eo perfectissimum præter Homerum et Archilochum reperiemus [1]. Il est constant que la poésie ïambique a été le fort de ce poëte : Ex tribus receptis Aristarchi judicio scriptoribus iamborum ad ἕξιν maximè pertinebit unus Archilochus. Summa in hoc vis elocutionis, cum validæ tum breves vibrantesque sententiæ, plurimum sanguinis atque nervorum, adeò ut videatur quibusdam quod quoquam minor est, materiæ esse non ingenii vitium [2]. C’est donc de celle-là que Paterculus l’a fait l’inventeur. Il l’aurait aussi été de la poésie épique, si ce qu’on impute à Térentianus était vrai : Doctrinæ laudem ei Terentianus tribuit, ut et epicorum versuum inventionem, libr. de metris pag. 86. C’est ainsi qu’on parle dans le Thesaurus Fabri, à l’article d’Archilochus ; mais il est aisé de voir, quand on consulte le passage de Térentianus Maurus, qu’il s’agit là de l’épode, et non pas des vers épiques. De plus, il ne serait pas certain que l’endroit qui concerne Archilochus le donnât pour l’inventeur de l’épode, si l’on n’apprenait d’ailleurs [3] cette vérité. Cet endroit pourrait sembler une citation alléguée comme un exemple de l’épode dont on parle en ce lieu-là, qui est un vers hexamètre suivi de la moitié d’un pentamètre :

Hoc doctum Archilochum tradunt genuisse magistri
Tu mihi Flacce sai es.

Lorenzo Fabri remarque que les Grecs avaient été six cents ans sans avoir d’autres vers que les hexamètres, jusqu’à ce qu’Archiloque en fit entendre d’autres avec tant de succès, que chacun essaya d’en faire de diverses mesures, ce qui fit que la poésie grecque devint si belle par cette variété de versification [4].

(L) Plus ses poëmes iambiques étaient longs, plus ils étaient beaux. ] Cicéron nous apprend cette particularité, en disant la même chose des lettres de son ami Atticus : Ut Aristophani Archilochi ïambus, sic epistola longissima quæque optima videtur [5]. On a fait le même jugement des harangues de Démosthène.

(M) Il n’est presque rien resté de ses ouvrages : c’est plutôt un gain qu’une perte, par rapport aux bonnes mœurs. ] On ne verrait que de très-mauvais exemples dans les vers d’Archilochus. Il avait témoigné un regret fort violent de ce que le mari de sa sœur était péri sur la mer. Voilà une sensibilité qui pouvait être édifiante ; mais il la fit dégénérer en une maxime pernicieuse, savoir, qu’il chercherait sa consolation dans le vin, et dans les autres plaisirs des sens, puisque ses larmes ne feraient aucun bien à son beau-frère, ni ses divertissemens aucun préjudice.

Οὔτε τι γὰρ κλαίων ἰήσομαι, οὔτε κάκιον
Θήσω, τερπωλὰς καὶ θαλίας ἐϕέπων [6] :


C’est-à-dire, selon la version d’Amyot :

Pour lamenter, son mal ne guérirai ;
Ni pour jouer, je ne l’empirerai.


Le pis est qu’il ne faisait pas de difficulté de se diffamer lui-même, en remplissant ses poésies de mille sales médisances contre le sexe : Τῶν ὑπ᾽ Ἀρχιλόχου πρὸς τὰς γυναῖκας ἀπρεπῶς καὶ ἀκολάςως εἰρημένων, ἑαυτὸν παραδειματίζοντος [7]. Voyez l’usage que Théodore de Bèze a fait de ce dernier mot dans ses notes sur le Ier. chapitre de saint Matthieu.

(N) Ceux qui parlent de plusieurs Archilochus multiplient les êtres sans nécessité. ] Un passage d’Eusèbe mal entendu est cause qu’on parle d’un Archilochus historien et chronologue,

  1. Paterc., lib. I, cap. V.
  2. Quintil., lib. X, cap. I.
  3. De Marius Victorinus, Art. Grammat., lib. III.
  4. Menetrier, Representat. en musique, pag. 245.
  5. Cicero, Epist. XI, lib. XVI, ad Attic.
  6. Plut., de audiend. Poëtis, pag. 33.
  7. Plut., de Curiosit., pag. 520.