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ARÉTIN.

s’attirer des libéralités de la part de quelques grandes dames à qui il envoyait des exemplaires de ces sortes de livres. Il n’en était pas pour cela plus sage, puisqu’après avoir publié sa paraphrase sur les sept psaumes, et son Humanità di Christo, en 1535, il s’avisa, sur la fin de 1547, de dédier à Battista Zatti, de Bresse, citoyen romain, ces postures infâmes dont on a tant parlé, au bas de chacune desquelles il avait mis un sonnet, aussi déshonnête, comme dit M. Felibien, que l’étaient les actions représentées. L’épître dédicatoire à ce Battista Zatti se trouve dans le premier volume des lettres de l’Arétin. Il paraît aussi par la peinture que cet auteur fait de ses mœurs dans la CCXCe. lettre du IVe. volume, datée de décembre 1547, que bien qu’il fût alors dans la cinquante-septième année de son âge [* 1], il n’en menait pas une vie moins licencieuse. L’endroit où il parle de l’interruption qu’il est obligé de faire en écrivant cette lettre, est quelque chose de fort singulier [1]....... On peut voir aussi la CCCCXXXIXe, lettre du même volume, où l’on reconnaîtra qu’il faisait profession d’une morale peu scrupuleuse. »

C’est donc à tort que l’on prétendrait qu’il composa ses livres pieux après avoir renoncé par une sérieuse pénitence à sa vie libertine. Il composait tour à tour, et des écrits de piété, et des écrits de débauche, étant toujours malhonnête homme, et plongé dans la corruption ; et si, par rapport aux hommes, il était moins pernicieux en s’exerçant sur des matières pieuses, qu’en traitant des sujets sales, il était encore plus criminel aux yeux de Dieu dans ces compositions-là, que dans celles-ci. Il n’appartenait pas à un tel profane de toucher aux choses saintes : il leur faisait une injure plus piquante, en les expliquant avec un cœur dépravé, et par de mauvais motifs, que s’il les eût insultées ouvertement. Nous pouvons lui appliquer la censure foudroyante contenue dans ces paroles du psalmiste :

Aussi dira l’Éternel au meschant,
Pourquoi vas-tu mes édits tant preschant,
Et prends ma loi en ta bouche maligne,
Veu que tu as en haine discipline,
Et que mes dits jettes et ne reçois ?
Si un larron d’aventure apperçois,
Avec lui cours ; car autant que lui vaux,
T’accompagnant de paillards et ribaux
Ta bouche mets à mal et médisances,
Ta langue brasse et fraudes et nuisances
Causant assis pour ton prochain blâmer,
Et pour ton frère ou cousin diffamer :
Tu fais ces maux, et cependant que riens
Je ne t’en dis, tu n’estimes et tiens
Semblable à toi : mais quoique tard le face
T’en reprendrai quelque jour en ta face [2].


Je confesse que le commun des hommes n’est point choqué des écrits de dévotion qu’un indévot et qu’un profane compose ; mais les personnes d’un goût délicat ou difficile en sont plus scandalisées que d’un écrit où un tel auteur parlerait sincèrement. Optez, disent ces personnes-là, soyez l’un ou l’autre, ne donnez point à l’imprimeur aujourd’hui un ouvrage de piété, demain un livre de libertinage. Vous ne voulons point une telle comédie : puisque vous persévérez dans le mal, nous aimons mieux que vous en gardiez incessamment les apparences.

.... Quantò constantior idem
In vitiis, tantò levius miser : ac prior ille,
Qui jàm contento, jàm laxo fune laborat [3].


Il serait à souhaiter que personne ne se mêlât de faire des livres de dévotion, sans être bien persuadé de ce qu’il dit, et sans le mettre en pratique ; car pour les personnes à réflexion, c’est un grand sujet de scandale que de voir si souvent de la mésintelligence entre les pensées et les paroles de ceux qui font de tels livres, et plus encore entre leurs actions et leurs écrits.

(K) Je parle de ses Ragionamenti. ] Ils sont divisés en trois parties, dont la dernière qui traite de la cour et du jeu des cartes, est beaucoup plus supportable que les autres. La première traite des désordres des nonnes, des femmes mariées, et des filles de joie. Il suffit de dire en général que

  1. (*) La preuve s’en tire de ce qu’il se dit âgé de cinquante-quatre ans dans une lettre à Paul Jove, du mois de mai 1545, pag. 141 tournée du IIIe. volume, édition de Paris, en 1609, in-8o.
  1. On ne le rapporte pas ; il est trop licencieux.
  2. Psaume L. Je me sers de la version de Clément Marot.
  3. Horat., Sat. VII, lib. II, vs. 18.