Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
ANAXAGORAS.

la visite qu’il souhaita de lui rendre fut refusée [a]. Servius et Sidonius Apollinaris ont ignoré ses opinions (T). Il y aura beaucoup de passages grecs dans le commentaire de cet article. Cela doit plaire aux personnes qui entendent cette langue, et qui veulent juger des choses par les propres termes des auteurs qu’on prend à témoin, et ne doit pas déplaire à ceux qui l’ignorent ; car outre que mes pages en seront plus courtes à leur égard, ils y trouveront en français une notion générale de ce qui est dans le grec. Ceci soit dit une fois pour toutes. J’ai renvoyé ailleurs [b], afin de ne surcharger pas davantage cet article, quelques discussions chronologiques qu’il y avait à proposer.

  1. Diog. Laërt., lib. II, num. 14.
  2. À la remarque (A) de l’article d’Archélaüs le philosophe.

(A) Il résigna tout son patrimoine à ses parens. ] Avant que l’Évangile eût appris aux hommes qu’il faut renoncer au monde et à ses richesses, si l’on veut marcher bien vite dans le chemin de la perfection, il y avait eu des philosophes qui avaient compris cela, et qui s’étaient défaits de leurs biens, afin de vaquer plus librement à l’étude de la sagesse, et à la recherche de la vérité. Ils avaient cru que les soins d’une famille et d’un héritage étaient des entraves qui empêchaient de s’avancer vers le but qui est le plus digne de notre amour. Anaxagoras et Démocrite [1] furent de ce nombre. Quid ergò, dit Cicéron [2], aut Homero ad delectationem animi ac voluptatem, aut cuiquam doctio defuisse unquàm arbitramur ? An ni ità se res haberet, Anaxagoras, aut hic ipse Democritus, agros et patrimonia sua reliquissent, huic discendi quærendique divinæ delectationi toto se animo dedissent ? C’est à un tel abandon qu’Anaxagoras se crut redevable de la science qu’il avait acquise, ou de son salut, pour me servir de son expression : Quali porrò studio Anaxagoram flagrâsse credimus ? qui cùm è diutinâ peregrinatione patriam repetiisset, possessionesque desertas vidisset, « Non essem, inquit, ego salvus, nisi ista periissent [3]. » Socrate, employant à son ordinaire l’ironie, montre que les sophistes de son temps avaient plus de sagesse qu’Anaxagoras, puisqu’au lieu d’abandonner comme lui leur patrimoine, ils travaillaient ardemment à s’enrichir, désabusés qu’ils étaient de la sottise du vieux temps, et persuadés qu’il faut être principalement sage dans ses propres intérêts, c’est-à-dire, avoir l’adresse de gagner beaucoup d’argent. Τοὐναντίον γὰρ Ἀναξαγόρα ϕασὶ συμϐῆναι ἢ ὑμῖν· καταλειϕθέντων γὰρ αὐτῷ πολλῶν χρημάτων καταμελῆσαι, καὶ ἀπολέσαι πάντα. οὕτως αὐτὸν ἀνόητα σοϕίζεσθαι· Λέγουσι δὲ καὶ περὶ ἄλλων τῶν παλαιῶν ἕτερα τοιαῦτα· τοῦτο μὲν οὖν μοὶ δοκεῖς καλὸν τεκμήριον ἀποϕαίνειν περὶ σοϕίας τῶν νῦν πρὸς τοὺς προτέρους· καὶ πολλοῖς συνδοκεῖ, ὅτι τὸν σοϕὸν, αὐτὸν αὑτῷ μάλιςα δεῖ σοϕὸν εἶναι. τούτου δ' ὅρος ἐςὶν ἄρα, ὃς ἂν πλεῖςον ἀργύριον εἰργάσηται [4]. Cùm Anaxagoras, contra ac vobis contigit, amplum patrimonium cùm accepisset, neglexisse dissipasseque dicatur, adeò stultè philosophatus est : deque cæteris illorum temporum sapientibus alia quædam hujusmodi tradunt. Quapropter optimam hanc attulisse conjecturam videris, quòd sapientes nostri superioribus præstant, multique in hoc consentiunt, sapientem in primis sibi ipsi sapere oportere ; hujus autem hæc est summa, ut argentum plurimum acquiratur. Cela me fait souvenir d’une distinction que j’ai lue dans Aristote. On trouve, dit-il [5], qu’Anaxagoras et Thalès, et tels autres philosophes ont été sages, mais non pas prudens, parce qu’ils ont ignoré ce qui leur était utile [6] : ils ont su des choses abstru-

  1. Voyez la remarque (B) de l’article Démocrite.
  2. Cicero, Tusculan., lib. V, circa finem.
  3. Valer. Maximus, lib. VIII, cap. VII, num. 6 in Externis.
  4. Plato, in Hippiâ majore, (et non pas in Phædro, comme cite M. Ménage in Diog. Laërt., lib. II, num. 6. pag. 1246.
  5. Aristot. Eudemior., lib. V, cap. VII, pag. 184.
  6. Σοϕοὺς μὲν, ϕρονίμους δ᾽ οὔ ϕασιν εἶναι, ὅταν ἴδωσιν ἀγνοῦντας τὰ συμϕέρονθ᾽ αὑτοῖς. Sapientes quidem esse dicunt,