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ARISTÉE.

point observé l’exactitude [1]. L’anonyme, qui a décrit les olympiades, met Aristée sous la 50e. : cela ne s’accorde point avec ce que d’autres ont dit qu’Homère fut son disciple [2]. Tatien l’a fait antérieur à Homère [3], et en a été repris par Vossius, comme si par-là il eût voulu trop favoriser la bonne cause dans ce point-ci, c’est que l’âge d’Homère a suivi de loin celui de Moïse [4]. Cette censure me semble un peu mal fondée, car Tatien a pu se servir légitimement d’une tradition qui se trouvait établie parmi les païens. Nous avons vu qu’on disait que notre Aristée avait enseigné Homère, et nous lisons dans Hérodote qu’Aristée parut au monde trois siècles après avoir composé un poëme [5]. On ne convenait donc pas qu’il eût fleuri au temps de Cyrus. Notes qu’Hérodote naquit l’an Ier. de la 74e. olympiade, et qu’il ne parle point de cette dernière apparition d’Aristée comme d’un fait nouvellement arrivé : il insinue, au contraire, que la tradition des Métapontins sur cette aventure-là venait de loin ; car il ne dit point qu’ils en marquassent le temps.

(B) Ses écrits sont remplis de fables. ] Aulu-Gelle raconte, qu’étant à Brundisium, il vit exposés en vente plusieurs paquets de livres, et qu’on lui laissa à très-vil prix ceux qu’il voulut acheter. C’étaient tous ouvrages d’auteurs grecs, qui avaient ramassé beaucoup de mensonges surprenans et incroyables. Aristée est le premier des écrivains : Fasces librorum venalium expositos vidimus. Atque ego avidè statìm pergo ad libros. Erant autem isti omnes libri græct miraculorum fabularumque pleni : res inauditæ, incredulæ ; scriptores veteres non parvæ auctoritatis, Aristeas Proconnesius, et Isigonus Nicæensis, et Ctesias, et Onesicritus, et Polystephanus, et Hegesias. Ipsa autem volumina ex diutino situ squallebant, et habitu adspectuque tetro erant. Accessi tamen, percunctatusque pretium sum : et adductus mirâ atque insperatâ vilitate, libros plurimos ære pauco emo ; eosque omnes duabus proximis noctibus cursìm transeo : atque in legendo carpsi exindè quædam et notavi mirabilia et scriptoribus ferè nostris intentata ; eaque his commentariis adspersi [6]. La suite de ce chapitre d’Aulu-Gelle est toute pleine des narrations chimériques qu’il avait lues dans ces écrits-là, ou dans Pline. Il faut savoir que l’Histoire des Arimaspes, composée par Aristée, était un poëme [7]. Et que sait-on, me direz-vous, si l’auteur ne l’écrivit pas sans avoir dessein qu’on ajoutât foi à ses récits ? L’Arioste n’a jamais eu une pareille pensée. Pourquoi ne jugerions-nous pas des anciens poëtes comme de lui à cet égard ? Je vous réponds qu’Aristée n’avait point pour but de divertir ses lecteurs par des récits qui fussent considérés comme des fables ; car il n’eut recours à ces contes, qu’afin de guérir l’incrédulité qu’il rencontrait dans les esprits. On ne croyait pas qu’il fût philosophe, et l’on se fondait sur ce qu’il ne disait point que personne l’eût instruit [8]. il leva cet obstacle, en débitant que son âme était sortie de son corps, et que, s’élevant vers le ciel, elle avait vu tous les pays grecs et barbares, et fini ses courses dans les climats hyperboréens. Il se vanta d’avoir découvert par ce moyen la situation des lieux, les coutumes des habitans, les qualités naturelles des élémens, etc., et d’avoir même observé le ciel plus exactement que la terre. N’était-ce point produire ses contes comme des lettres de créance ? Ne voulait-il point par-là s’établir une autorité qui fît recevoir les autres choses qu’il voudrait dire ? Il fallait donc qu’il proposât celles-là comme des faits véritables. On les prit pour tels ; car on ajouta plus de foi à cet homme-

  1. Vossius, de Historicis Græcis, lib. IV, cap. II, pag. 433.
  2. Strabo, lib. XIV, pag. 439.
  3. Tatian., Orat. ad Græcos, apud Vossium de Histor. Græcis, lib. I, cap. I, pag. 7.
  4. Vossius, de Hist. Græcis, lib. I, cap. I, pag. 6.
  5. Herod., lib. IV, cap. XIV.
  6. Aulus Gellius, lib. IX, cap. IV, pag. 229. Notez que M. Huet, Demonstrat. Evangel., Propos. IX, cap. CXLII, pag. 1037, cite cet endroit d’Aulu-Gelle comme contenant que les choses que l’on avait racontées touchant Aristée étaient fausses. Ce n’est point la pensée d’Aulu-Gelle.
  7. Herod., lib. IV, cap. XIII et XIV, Strabo, lib. I, pag. 15, et lib. XIII, pag. 405.
  8. Maxim. Tyrius, Dissert. XXII, pag. 223.