selon Anaxagoras, le soleil était une pierre enflammée. Suidas explique par πύρινον λίθον le μύδρον διάπυρον de Diogène Laërce. Je m’étonne donc de ce que M. Charpentier aime mieux dire qu’Anaxagore soutint que le soleil n’estoit qu’une masse de fer enflammée [1].
(C) M. Moréri a très-mal représenté un de ses sentimens, que Lucrèce avait néanmoins très-bien exposé, etc. ] Nous mettrons dans cette remarque toutes les erreurs de M. Moréri.
1°. Il se figure qu’Anaxagoras enseigna, que les principes des choses avoient en eux les caractères des parties : car, comme l’or est composé de petites parcelles unies ensemble, de même tout ce grand monde est fait de semblables parties, qui font le tout, et sont le premier mobile des choses. Quel galimatias ! quelles ténébres ! Héraclite a-t-il jamais pu s’exprimer si obscurément ? À quoi bon l’exemple de l’or composé de petites parcelles unies ensemble ? Cela convient-il à l’or plutôt qu’à tout autre mixte ? Ne fallait-il pas ajouter que ces petites parcelles, qui composent l’or, sont elles-mêmes de l’or ? C’est ce qu’enseignait Anaxagoras : il croyait qu’un os visible était composé de plusieurs os invisibles ; et que le sang, que nous voyons, était composé de plusieurs petites gouttes, dont chacune était du sang. C’est pour cela qu’il appelait ses principes ὁμοιομερείας [2], similaritates. Lisez ces vers de Lucrèce.
Nunc et Anaxagoræ scrutemur homœomerian,
Quam Græci memorant, nec nostrâ dicere linguâ
Concedit nobis patrii sermonis egestas.
Sed tamen ipsam rem facilè est exponere verbis,
Principium rerum quam dicit homœomerian.
Ossa videlicet à pauxillis atque minutis
Ossibu’ ; sic et de pauxillis atque minutis
Visceribus viscus gigni ; sanguenque creari,
Sanguinis inter se multis coëuntibu’ guttis ;
Ex aurique putat micis consistere posse
Aurum ; et de terris terram concrescere parvis ;
Ignibus ex ignem ; humorem ex humoribus esse.
Cætera consimili fingi ratione, putatque [3].
Je ne rapporterai pas toutes les raisons
que Lucrèce étale contre ce
dogme, je n’insisterai que sur la première.
Il montre que, suivant cela,
les premiers principes des choses seraient
corruptibles tout autant que
les corps mêmes les plus composés.
Cette conséquence entraîne deux
grands inconvéniens : l’un, que la
différence, qui doit être entre les
principes et les mixtes, ne se trouve
point dans l’hypothèse d’Anaxagoras.
La différence dont je parle, est que les
principes [4] doivent toujours demeurer
les mêmes, quelque souvent que
les mixtes soient détruits. Ce sont seulement
les mixtes qui naissent, qui
meurent, et qui passent par mille vicissitudes
de génération et de corruption ;
mais les principes retiennent
invariablement leur nature sous toutes
les formes qui se produisent successivement.
Anaxagoras ne pouvait
pas dire cela de ses principes ; car si
par exemple ceux de la chair avaient
la nature de chair, ils étaient aussi
sujets à la destruction qu’une grosse
masse de chair, et ainsi des autres,
vu que d’ailleurs il n’admettait dans
la matière aucune partie indivisible
[5]. Nous verrons ci-dessous [6]
s’il aurait pu supposer que les principes,
étant éternels et incréés, devaient
être impérissables. L’autre inconvénient
est que la destruction des premiers
principes ne diffère pas de
ce qu’on appelle annihilation ; car,
quand ils cessent d’être, ils ne se résolvent
point en d’autres choses dont
ils soient composés, vu que la simplicité
qui leur est propre ne souffre
point de composition. Ils périssent
donc entièrement, et ils sont anéantis.
Or, la lumière naturelle ne conçoit
pas qu’un tel changement soit
possible [7]. La destruction des
corps composés n’est point sujette à
cette difficulté ; ils subsistent toujours
dans leurs principes : le bois, par
- ↑ Charpentier, Vie de Socrate, pag. 7.
- ↑ Plut. de Placit. Philosoph, lib. I, cap. III, pag. 876. Diogen. Laërtius, lib. II, num. 8.
- ↑ Lucret., lib. I, vs. 830.
- ↑ J’entends par-là la matière ou le Subjectum ex quo.
- ↑
Nec tamen esse ullâ parte idem in rebus inane
Concedit, neque corporibus finem esse secundis.
Lucret., lib. I, vers. 843. - ↑ Dans la remarque (G).
- ↑
At neque recidere ad nihilum res posse, neque autem
Crescere ex nihilo, testor res antè probatas.
Lucret., lib. I, vs. 857.