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ARNAULD.

carmes déchaussés, et le prieur des jacobins. Ils l’appelèrent un certain Arnold ; mais, ne leur en déplaise, cela ne fait point d’honneur à leurs communautés : il y a là, ou une ignorance impardonnable à des gens de lettres, ou une affectation d’airs dédaigneux, qui ne sied pas bien à des personnes consacrées au service divin, et qui décrètent pour la foi. Il n’y a point d’homme de lettres qui puisse dire, sans s’exposer à la risée des savans, un certain Scaliger, un certain Sirmond, un certain Pétau, un certain Saumaise, un certain Grotius, un certain Seldenus et (s’il s’agit du docteur de Sorbonne) un certain Arnauld. Les disputes où ce dernier s’est vu engagé ont fait tant de bruit, et sont remarquables par tant de grands exploits de part et d’autre, que tout homme d’étude qui se verrait soupçonné de les ignorer, aurait sujet d’opposer à ces soupçons injurieux ces quatre vers de Virgile :

Quis genus Æneadum, quis Trojæ nesciat urbem,
Virtutesque, virosque, aut tanti incendia belli ?
Non obtusa adeò gestamus pectora Pœni,
Nec tam adversùs equos Tyriâ sol jungit ab urbe [1].

Quoi qu’il en soit, je ne saurais m’empêcher de mettre ici le décret des six réguliers de Liége [2] : la latinité en est si exquise, qu’elle pourra délasser un peu mon lecteur. Nos infrà scripti superiores conventuales regularium in civitate Leodiensi, certiorati de conventiculis, quæ habentur apud certum Arnoldum doctrinam suspectam spargentem, censemus D. Vicarium charitativè certiorandum, ut similia conventicula dissipare, et prohibere non dedignetur etiam cum dicto Arnoldo conversationes. Datum in conventu minorum hâc 25 Augusti 1690. Ad quem effectunt conmisimus R. P. M. Ludovicum Lamet, priorem dominicanorum, ad nomine nostro accedendum D. Vicarium, et exponendum intentionem nostram. L’auteur de la Question curieuse dit bien que le père d’Iserin s’était vanté d’avoir eu commission ou permission de son altesse l’évêque de Liége de faire arrêter M. Arnauld partout où il le trouverait dans le diocèse [3] ; mais il traite cela d’une insigne fausseté [4].

(G) Je parle de l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld. ] Il y aurait cent choses à rapporter touchant cet ouvrage ; mais comme on aura apparemment d’autres occasions d’en parler, on se bornera ici à un petit nombre d’observations. L’auteur de ce livre avait publié un écrit qui eut beaucoup de succès. Ceux qui eurent soin de l’impression à la Haye, l’intitulèrent la Politique du clergé de France. Ce sont des dialogues où il y a beaucoup d’agrémens et de politesse, mais peu de solidité de raisonnement, et très-peu de circonspection dans le débit de plusieurs faits notoirement faux. M. Arnauld réfuta ce livre [5] avec un peu trop de hauteur, et d’une manière d’autant plus désobligeante, qu’il convainquait manifestement son adversaire d’avoir très-mal raisonné, et d’avoir avancé plusieurs faussetés. Il entama un autre ouvrage du même auteur [6] ; il fit paraître qu’il avait envie de répliquer à l’Apologie de la morale des réformés au sujet de l’inadmissibilité de la grâce ; en un mot, l’auteur de la Politique du clergé prévit très-bien qu’il allait avoir en la personne de M. Arnauld un adversaire qui ne lui laisserait aucun repos, et qui ne lui passerait aucune contradiction, aucun faux raisonnement, ni aucune fausseté de fait. Cela n’accommodait nullement un homme qui voulait publier beaucoup de livres, et qui ne se donnait guère la peine de revoir ce qu’il avait une fois écrit. Il s’abandonnait à son feu et à son imagination, et c’était une source inépuisable de fausse logique, et de contradictions grossières. Il chercha donc les moyens de n’avoir plus M. Arnauld à ses trousses, et rien ne lui parut plus propre pour cela que de l’attaquer personnellement, je veux dire, que de lui imputer toutes sortes de mauvaises qualités personnelles. Il exécuta ce dessein avec tout l’empor-

  1. Virgil., Æneid., lib. I, vs. 568.
  2. Il est rapporté dans la page 228 de la Question curieuse.
  3. Question curieuse, pag. 198.
  4. Là même, pag. 200.
  5. Dans l’Apologie pour les Catholiques imprimée en 1682.
  6. Intitulé, Préservatif contre le changement de religion.