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ARTÉMISE.

manières le combat de cette reine, qu’il le multiplie en trois ou quatre actions différentes, et il nous parle d’un fuseau et d’une quenouille envoyés par le roi de Perse à un capitaine de navire, à quoi l’on ne trouve aucun sens, puisque le vaisseau attaqué par Artémise fut coulé à fond, et qu’il ne s’en sauva personne.

(D) À son occasion Xerxès s’écria que ses hommes s’étaient comportés en femmes, et ses femmes en hommes. ] Voyons les paroles d’Hérodote : Ξέρξην δὲ ἐ̃ιπαι λέγεται πρὸς τὰ ϕραζόμενα· « Οἱ μὲν ἄνδρες γεγόνασί μοι γυναῖκες, αἱ δὲ γυναῖκες, ἄνδρες [1]. » Undè Xerxem ferunt ad ea quæ narrabantur dixisse, « Viri quidem extiterunt mihi feminæ, feminæ autem viri. » Joignons-y celles de Justin : Artemisia regina Halicarnassi quæ in auxilium Xerxi venerat, inter primos duces bellum acerrimè ciebat, quippè ut in viro muliebrem timorem, ità in muliere virilem audaciam cerneres [2].

(E) Ses grandes qualités ne la délivrèrent pas des faiblesses amoureuses. ] Toutes les femmes de grand courage ne sont pas comme Agrippine, qui s’était défaite des défauts de son sexe, en s’occupant des soins de l’autre. Agrippina, æqui impatiens, dominandi avida, virilibus curis feminarum vilia exuerat [3]. Sémiramis, ambitieuse et guerrière au souverain point, était de la dernière lasciveté. On remarque que les plus grands hommes de guerre sont pour la plupart de complexion amoureuse, de quoi les humanistes mystiques peuvent faire honneur à Homère, qui a si naïvement raconte les liaisons de Mars et de Vénus ; mais je crois qu’à l’égard des femmes cela n’est pas si commun, et que les grandes affaires les élèvent mieux au-dessus de l’amourette.

(F) On la confond mal à propos avec Artémise, femme de Mausole. ] Il semble que Pline soit coupable de cette faute, car il dit qu’Artémise, femme de Mausole, donna son nom à l’herbe qu’on appelait parthenis [4]. Or, comme Hippocrate fait mention de l’herbe artemisia (c’est celle que nous appelons armoise), et que la femme de Mausole n’a vécu qu’après Hippocrate, il s’ensuit que l’une des deux Artémises a été prise pour l’autre dans ce passage de Pline. Si l’une d’elles a communiqué son nom à l’armoise, il faut que ce soit la fille de Lygdamis, l’habile et la courageuse Artémise qui suivit Xerxès. M. Chevreau, dont j’emprunte cette remarque contre Pline, m’apprend que Léon d’Allazzi, dont il l’avait empruntée, a censuré avec raison Robert Étienne, qui a dit [5] qu’Artémise, femme de Mausole, se signala dans la guerre de Xerxès, en Grèce [6]. M. Chevreau a remarqué la même faute dans le Théâtre historique de Chrétien Matthieu : il ajoute que ce n’a pas été sans quelque raison que Pline, dans le passage qu’il a allégué, donne à Mausole le titre de riche. Je trouve bien cette épithète dans la version de du Pinet, mais non pas dans le Pline du père Hardouin ; et je vois que Pline, décrivant en un autre lieu [7] la magnificence du mausolée, se contente de dire que Mausole était un petit roi de Carie, Cariæ regulus. Le père Hardouïn tâche d’aller au secours de son auteur, en soupçonnant que tous les rois de Carie s’appelaient Mausole, comme tous les rois d’Égypte s’appelaient Ptolomée, et qu’ainsi l’Artémise, femme de Mausole, à laquelle Pline attribue l’ambition d’avoir fait porter son nom à une herbe, est celle qui vivait du temps de Xerxès ; mais il me permettra de dire que son auteur, en ce cas-là, serait très-digne de censure par un autre endroit. Il eût caractérisé une reine par un titre qui lui aurait été commun avec toutes les autres reines du pays. Le père Hardouin fonde ses soupçons sur un passage où les deux Artémises sont qualifiées reines de Carie [8]. Je laisse là ce fondement, mais je trouve que

  1. Herod., lib. VIII, cap. LXXXVIII.
  2. Justin., lib. II, cap. XII. Voyez aussi Polyænus, Stratagem., lib. VIII, cap. LIII, et Pausanias, lib. III, pag. 93.
  3. Tacit., Annales, lib. VI, cap. XXV.
  4. Plin., lib. XX, cap. VII.
  5. Dans son Thesaurus Linguæ latinæ. J’ai remarqué qu’il a fait la même faute dans le Dictionarium Nominum propriorum, etc., imprimé in-8o., à Cologne, en 1558.
  6. Chevreau, Hist. du Monde, tom. IV, pag. 33. de la première édition de Hollande.
  7. Lib. XXXVI, cap. V.
  8. Ce passage est d’Harpocrate ; mais on le donnerait à Tzetzès, si l’on suivait rigoureusement l’expression du père Hardouin, tom. IV, pag. 398.